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"La croix raccommodée"

(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)

 

 

Des deux statues de l'église paroissiale au nom de l'école privée en passant par le calvaire de La Chaussée reconstruit en 1862, nombreuses sont encore les traces de la mission que conduisit Louis Marie Grignion de Montfort à La Chevrolière en 1708. Le mauvais accueil qu'il reçut de la part du recteur Bedouet et le succès qu'il y enregistra pourtant ont souvent été racontés 1. Ce que l'on sait moins, c'est que des missions de catéchisation, sinon d'évangélisation, ont parcouru La Chevrolière, à l'instar de nombreuses autres paroisses bretonnes, bien avant et bien après.

 

Trois mots caractérisent ces événements religieux qui marquaient durablement la mémoire collective : prédications, confessions, processions. D'après l'historien nantais Marius Faugeras 2, la mission n'était pas à la charge de la paroisse mais à celle des prêtres missionnaires qui avaient reçu le legs (entre 600 et 2800 livres) d'un bienfaiteur, prêtre ou, plus rarement, laïc, qui la fondait en stipulant un certain nombre d'obligations précises concernant, entre autres, sa fréquence (entre 5 et 10 ans), sa durée (de 2 à 5 semaines), le nombre de prêtres requis (de 6 à 13).

 

Parmi les missions qui rythmèrent alors la vie de nos paroisses, il faut signaler celles qu'organisa la communauté de Saint Clément de Nantes. De spiritualité sulpicienne, elle mena, par exemple, 33 missions sur 16 paroisses différentes entre 1728 et 1758. Les prêtres de Saint Clément, trop peu nombreux pour assumer cette charge, devaient régulièrement faire appel soit à des Montfortains de Saint Laurent-sur-Sèvre, soit à des missionnaires du Saint-Esprit. Certaines missions avaient la particularité d'être « alternatives », fondées pour deux paroisses qui en bénéficiaient à tour de rôle. Il en était ainsi de la mission fondée en 1683 pour les paroisses de La Chevrolière et du Bignon.

 

Or, en 1744, c'était au tour du Bignon de la recevoir. Comme de coutume, une délégation de La Chevrolière, « paroisse sœur », participait aux cérémonies qui marquaient son ouverture. Et, comme c'était aussi souvent le cas, la délégation d'une paroisse voisine, pour l'occasion celle de Vertou 3, était également invitée. Les trois groupes, précédés chacun de sa croix et de sa bannière, se rejoignaient à la porte de l'église hôte pour inaugurer la mission. Mais, cette fois-là, les rivalités de clocher l'emportèrent sur une pieuse humilité de circonstance : « les gens de Vertou se révoltèrent à l'occasion de la préséance 4» et une « batterie 5» éclata dans l'église du Bignon qui « fut polluée par le sang répandu » !

 

La profanation fut telle que l'abbé Dupin, missionnaire de Saint Clément, dut dire une messe de réparation le lendemain, tandis que les principaux responsables du scandale, « quelques particuliers de Vertou », étaient condamnés « à l'entretien d'une lampe perpétuelle dans l'église » du Bignon... Nos Chevrolins, quant à eux, témoins et, probablement aussi, acteurs de ces « bruits » et de ces « malheurs », en furent quitte pour une croix de procession sérieusement abîmée !

 

Toutefois, nous ne saurions rien de l'implication des Chevrolins dans cette lamentable affaire si le recteur Julien Gennevoys, vingt-trois ans plus tard, n'avait ajouté une note 6 quelque peu sibylline à la dernière page du registre paroissial de l'année 1767 : « La croix de cette paroisse a été raccommodée, il en a coûté quinze livres 7 [...] Elle avait été endommagée en 1744, à l'ouverture de la mission du Bignon où il y eut beaucoup de bruits et de malheurs »...

 

 

 

 

 

1 : Voici le récit, de style hagiographique, qu'on en trouve dans Vie du Bienheureux L.-M. Grignion de Montfort, publiée par le Père Fonteneau en 1887 : « A la Chevrolière le bienheureux de Montfort recueillit une moisson abondante de croix de tout genre ; il eut à souffrir la maladie, la calomnie la plus odieuse contre sa vertu, les humiliations infligées publiquement par le curé même de la paroisse [...] L'humilité et la patience du serviteur de Dieu attirèrent la bénédiction sur la mission de la Chevrolière dont le succès dépassa toutes les espérances ».

 

2 : Toutes les informations concernant ces missions sont tirées de l'article de Marius Faugeras paru en juillet 1974 dans les Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest (tome 81-3, pages 553 à 576) et intitulé : La communauté missionnaire de Saint Clément de Nantes. Missions et catéchèse au temps de Grignion de Montfort.

 

3 : On comprend mieux la présence de cette délégation vertavienne quand on sait que l'abbé Gaudin, recteur de Vertou, venait de fonder l'année précédente, peu avant sa mort, une mission similaire au bénéfice de ses paroissiens. Il l'avait également confiée à la communauté de Saint Clément.

 

4 : Les représentants de la paroisse de Vertou, qui dépendaient non d'une seigneurie laïque mais d'une prévôté bénédictine, revendiquaient peut-être, à ce titre, l'honneur d'occuper les premiers rangs. Ce que Bignonnais et Chevrolins, bénéficiaires de la mission, n'auraient sans doute pas accepté ! A moins que les uns ou les autres n'aient trouvé là l'occasion de vider quelque vieille et obscure querelle...

 

5 : "bataille", ou, plus simplement ici, "bagarre".

 

6 : Ces notes manuscrites, que les curés consignaient parfois à la fin des registres paroissiaux, concernaient des sujets extrêmement variés. Par exemple, à la suite de la note qui nous intéresse, on en trouve une sur les gelées tardives qui avaient affecté les vignes de la paroisse et sur la hausse du prix du vin. Rares, mais aussi spontanées que libres dans leur forme, ces notes sont souvent précieuses pour « apercevoir » la vie quotidienne du petit peuple ou les événements qui l'ont marqué.

 

7 : La somme de 15 livres représente alors le salaire mensuel d'un domestique. Le curé de La Chevrolière indique, par ailleurs, qu'une fois la croix réparée, « on a commencé à s'en servir le dimanche [17] mai [1767] à la procession de Saint Sébastien ». De nombreuses paroisses proches de Nantes organisaient en effet annuellement, sur une journée, un pèlerinage à Saint Sébastien d'Aigne (aujourd'hui Saint Sébastien-sur-Loire) pour demander la protection du saint éponyme contre la peste et les autres épidémies.

 

Photo d'une croix de procession (Source : www.ancienne-liturgie.fr ) ; la croix, souvent en bronze argenté ou doré, était emmanchée sur une hampe en bois, parfois démontable, mesurant environ deux mètres.

 

 

 

Mis en ligne le 1er octobre 2018

 

 

 

 

(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)

 

 

 

 

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