D'une guerre l'autre

 

(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)

 

 

Quelles émotions éprouve Georges, le 3 septembre 1939, lorsqu'il apprend la déclaration de guerre ? Quels souvenirs remontent à sa mémoire ? Quelles inquiétudes l'étreignent ? «Sa» guerre n'était donc pas « la der des ders » ! Peu après, leurs gendres ayant été tous deux mobilisés, Georges et Constance accueillent Yvonne et Vonette à Lucinière. Dès lors, ils vont devoir assumer, peu ou prou, la responsablité de leurs trois filles et de leurs trois premières petite-filles...

 

La défaite, la débâcle et l'exode de 1940 amènent à Lucinière de nombreux réfugiés : des Belges, des Polonais1 fuyant le nord de la France, puis des Parisiens, que le comte Le Gualès de Mézaubran2 prend tous sous son aile. Parmi eux, seuls resteront les Juifs, dont les membres des familles Cheffro et Pokoïk, qui sont hébergés, pour certains au Pavillon, près du château, pour les autres dans la maison du garde forestier distante de deux kilomètres. Un moment, la comtesse sollicite même Constance pour accueillir une de leurs filles avant de se raviser quand on apprend la captivité de ses deux gendres et qu'on mesure le risque qu'une telle situation pourrait engendrer pour eux.

 

Dès lors vient le temps de l'Occupation avec la présence de nombreux Allemands à Lucinière. Dans la famille Freuchet, on se souvient de l'arrogance des jeunes officiers mais aussi des magnifiques chants entonnés dans la chapelle du château, les nuits de Noël... Cependant, on ne cesse de s'inquièter pour Pierre et Etienne, les deux gendres de Georges, et le vieux jardinier fait de son mieux pour nourrir et protéger les sept "femmes" qui vivent sous son modeste toit. Le triste temps de l'occupation s'écoule avec une infinie lenteur, escorté de son cortège de difficultés, de restrictions et de peurs...

 

 

En février 1944, le châtelain de Lucinière, et employeur de Georges depuis treize ans, meurt subitement3 à l'âge de 58 ans laissant la famille Freuchet dans l'incertitude quant à son devenir à Joué-sur-Erdre. Quatre mois plus tard, c'est le débarquement en Normandie. L'agitation des Allemands est à son comble et les rumeurs les plus folles circulent. Le 5 août 1944, un détachement comprenant des Américains et des Canadiens libère la commune sans coup férir et va cantonner quelque temps à Lucinière, bivouaquant sous le couvert de la Grande Avenue4. Les relations sont cordiales avec les "libérateurs" ; l'un d'entre eux achète même, pour sa femme, un gilet tricoté par Marie ! Toutefois, Georges échappe de peu à la mort quand une balle perdue lui frôle le visage5...

 

La confusion de cette époque troublée, la disparition encore récente de son employeur et l'absence de ses gendres amènent Georges, qui a maintenant 64 ans, à prendre la décision de quitter Lucinière. Fin septembre 1944, les Freuchet prennent, tout naturellement, la direction de La Chevrolière. Ce trajet d'une bonne cinquantaine de kilomètres sera long et pénible dans les conditions de l'époque. On traverse Nantes qui vient d'être libérée mais qui porte encore les horribles stigmates des bombardements. Arrivées place Victor-Mangin, les petites-filles de Georges sont effrayées par le spectacle d'un pont de Pirmil disloqué et la perspective de devoir emprunter l'étroite passerelle flottante6 qui le remplace...

 

 

 

 

Notes :

 

1 - Georges et Constance raconteront plus tard comment ils ont partagé leur soupe avec eux malgré la barrière de la langue.

 

2 – En 1999, le comte Adolphe et la comtesse Gilberte Le Gualès de Mézaubran recevront à titre posthume le titre de Justes parmi les Nations décerné par l'Institut Yad Vashem pour avoir permis de sauver dix réfugiés juifs, dont plusieurs enfants.

3 – A l'occasion de ses funérailles, la dépouille du comte Adolphe Le Gualés de Mézaubran, ancien conseiller général et maire en activité de Joué-sur-Erdre depuis 1921, est transportée dans une charrette tirée par des bœufs jusqu'au bourg de Joué où les enfants des écoles, dont les petites-filles de Georges, sont là pour l'accueillir...

4 - C'est le nom de la majestueuse allée, plantée de chênes, qui conduit au château et qui avait été dessinée par André Le Nôtre, jardinier de Louis XIV.

 

5 – Un soldat avait très imprudemment posé son fusil chargé contre le tronc d'un arbre de la Grande Avenue : le fusil tomba et le coup partit...

 

6 - Cette passerelle, comme celle qui remplace le pont de Pornic pour les véhicules, ne sera mise en service qu'à partir du 18 septembre 1944.

 

 

Mis en ligne le 26 octobre 2019

(remanié le 7 décembre 2019)

 

 

 

(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)

 

 

 

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