Les Chevrolins "Morts pour la France" en 1916
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1916
36 - Augustin GUILLON 37 - Henri JAUMOUILLE 38 - Clément REMAUD
39 - Georges PERRAUD 40 - Antoine GUILLON 41 - Auguste PADIOU
42 - Donatien FREUCHET 43 - Alphonse BAUDRY 44 - Jean DAUTAIS
45 - Gustave RICHARD 46 - Henri BARILLERE 47 - Raphaël BACHELIER
48 - Charles THIBAUD 49 - René LEFORT 50 - Georges CORBINEAU
36 / 75 Augustin GUILLON, le sergent de La Davière
Au tournant du XXème siècle, La Davière compte 20 habitants qui occupent deux habitations mitoyennes, ouvrant portes et fenêtres au plein midi. Accolée à la métairie de Joseph Egonneau se trouve la ferme d'Henri Guillon où vivent onze personnes. Le fermier et sa femme, leurs deux filles et leur fils encore célibataires, un domestique, et leur autre fils, Louis, avec sa femme, Célestine Garreau, et leurs quatre enfants. L'aîné s'appelle Augustin Louis Marie Joseph, il naît à la ferme de son grand-père paternel le 19 octobre 1891. Il est bientôt suivi par trois frères : Antoine, né en 1894, Marcel, en 1896 et Robert, en 1899.
Après avoir quitté les bancs de l'école, Augustin suit le sort invariable des fils d'agriculteurs de ce temps et rejoint père et grand-père sur l'exploitation familiale. Vers 1'âge de 17 ans, toutefois, il laisse la place à son cadet et va travailler comme domestique chez Pierre Corbineau, le fermier de La Mône en Pont Saint Martin. Il y reste 3 ans puis revient à La Davière dans le courant de l'année 1911, année au cours de laquelle la fratrie s'élargit encore avec la naissance, sur le tard, d'une fille prénommée Marie. Mais Augustin a maintenant 20 ans et le départ « au régiment » se profile à l'horizon.
Son père présente alors une demande d'allocation journalière à la municipalité chevroline qui l'examine lors de sa séance du 25 février 1912 et qui l'accepte dans ces termes : « Après avoir délibéré le Conseil municipal émet l'avis que la demande qui lui est soumise lui semble devoir être admise attendu que Guillon Louis a une nombreuse famille, a ses vieux parents confiés à ses soins et que le départ de son fils va le priver d'un auxiliaire précieux ». Cette allocation de 0,75 Franc par jour est accordée par l'Etat aux familles des jeunes gens considérés comme « soutiens indispensables de famille ».
Augustin quitte donc La Davière le 10 octobre 1912 pour rejoindre Fontenay-le-Comte où il est incorporé au 137ème Régiment d'Infanterie, 3ème bataillon, 9ème compagnie. Il ne se doute pas, alors, qu'il fait ses adieux à la vie civile... Soldat de Première Classe depuis le 18 août 1913, il doit encore accomplir une année de service actif lorsque la guerre éclate. Dès le 3 août 1914, Augustin et son régiment laissent la caserne du Chaffault aux réservistes des 337ème R.I. et 84ème R.I.T. qui arrivent de toute la région et s'installent, momentanément, dans des locaux publics ou privés mis à leur disposition. Le surlendemain, le colonel commandant le régiment le passe en revue sur le Champ de Foire devant une assistance nombreuse. Le soir du 6 août, le 137ème défile dans les rues de Fontenay pour se rendre à la gare où il embarque au cours de la nuit, bataillon par bataillon, dans trois trains qui l'amèneront, le 8, dans les Ardennes.
Au début du conflit, le 137ème R.I. suit le même parcours que les autres régiments de l'Ouest et subit, comme eux, de lourdes pertes : après une longue marche d'une dizaine de jours vers la Belgique, ce sera la bataille des Frontières avec, en particulier, les combats de Maissin, le 22 août, et ceux de Chaumont-Saint-Quentin, le 27, puis le repli en Champagne et la bataille de la Marne, autour de Normée, au début septembre, enfin le glissement vers la Somme à la fin septembre, les combats d'Albert et de La Boisselle, et le début de la guerre de tranchées en octobre. Les combats de La Boisselle, entre le 27 septembre et le 4 octobre, ont été particulièrement durs. Plusieurs centaines d'hommes, dont 48 caporaux ont été mis hors de combat. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles Augustin Guillon est promu caporal le 11 octobre.
Commence alors le premier hiver de guerre, pendant lequel, toutes illusions perdues, nos soldats vont devoir affronter de terribles conditions de vie et de combat dans le secteur d'Auchonvillers et de Colincamp. Augustin et son bataillon, alternent des périodes de huit jours dans les tranchées et de quatre jours en cantonnement de repos. A la fin de l'hiver, le 23 mars 1915, ils glissent vers le secteur d'Hébuterne, quelques kilomètres plus au nord. Augustin survit aux violents combats qui s'y déroulent entre le 7 et le 9 juin, combats qui coûtent la vie, comme on l'a vu, à trois Chevrolins...
Au cours de l'été, le 137ème R.I. est relevé, mis au repos puis envoyé en Champagne. Le 12 août, à Conty, il monte dans les trains qui l'attendent pour le conduire à Vitry-la-Ville, près de Châlons. Le 16 août, il est à Somme-Tourbe, légèrement en retrait du front, où il va attendre la grande offensive du 25 septembre. Augustin participe et survit à la deuxième bataille de Champagne qui sera, comme on le sait, un nouvel et cuisant échec. Son régiment perd plus de 1200 hommes en deux semaines... Après une telle hécatombe, il faut "complémenter" et restructurer le régiment ; le 12 octobre, Augustin Guillon est nommé sergent.
Le 137ème R.I. va alors s'accrocher au terrain au cours d'une guerre de tranchées impitoyable dans des secteurs autrefois boisés et verdoyants que les Poilus ont rebaptisés « Le Bois Jaune », « Les Mamelles », « La Courtine »... Le 29 octobre, Augustin et son bataillon sont témoins d'une désertion collective qui en dit long sur le moral des troupes ennemies : le 3ème Bataillon, placé en soutien du 120ème R.I. « ne combat pas mais fait des corvées pour porter en première ligne le matériel nécessaire à une attaque que prépare le 120ème et qui réussit presque sans coup férir, une partie des Allemands se rendant en attaquant ceux qui veulent les [en] empêcher et tuant leur capitaine, 200 prisonniers »... Le 4 novembre le régiment est relevé, mis au repos et « transporté en automobile » vers l'arrière. Le 3ème Bataillon cantonne à Drouilly pendant tout le mois de novembre. Augustin fait-il partie des 10 % de chanceux envoyés alors en permission ? Nous ne le savons pas.
Le 3 décembre, après ce mois de récupération bien mérité, le régiment reprend la direction du front, « sous une pluie battante, mais sans laisser personne en arrière ». La dure réalité d'un deuxième hiver de guerre s'impose alors à tous. Voici ce qu'on lit dans le journal régimentaire à la date du 7 décembre : « La cuisine se fait à Cabane-et-Puits où sont les Trains de Combat ; les cuisines roulantes l'apportent au Bois Triangulaire où des corvées vont la chercher, à 7 heures environ. Tout arrive glacé et il n'y a que peu de poëles et de braseros et presque pas de charbon apporté, ainsi que le pain, par les mulets de mitrailleuses. La boue et l'eau remplissent les boyaux. Les abris sont peu nombreux et mal ou pas étayés. La situation est extrêmement pénible »...
Les trois bataillons du 137ème R.I. vont se relayer tout l'hiver pour tenir les tranchées du Bois de la Savate. Augustin s'y trouve du 9 au 17 décembre, puis après quelques jours de repos, y remonte dans la nuit du 23 au 24. Au cours de cette deuxième rotation, le 28 ou le 29 décembre, dans des circonstances qui n'ont pas été rapportées, le sergent Guillon est blessé et évacué du champ de bataille. Il est amené à l'ambulance 12/XX, installée à Croix-en-Champagne, à une douzaine de kilomètres en arrière du front. Mais, quelques jours plus tard, le 2 janvier 1916, malgré les soins qui lui sont prodigués, Augustin Guillon meurt « des suites de ses blessures ».
Trois semaines plus tard, à La Davière, alors qu'un de leurs fils, Antoine, est prisonnier en Allemagne depuis plus d'un an et qu'un autre, Marcel, combat quelque part en Flandre, Louis et Célestine Guillon apprennent la mort de leur fils aîné...
Mis en ligne le 5 mars 2015
37 / 75 Henri JAUMOUILLE, le charron du bourg
En 1878, Jean Henri Jaumouillé, originaire du Bignon, épouse Angèle Prou, la fille d'un marchand de volailles de Passay. Charron de son état, il remplace Eugène Bruneau qui vient de quitter le bourg de La Chevrolière. Trois ans plus tard, le 17 juin 1881, Jean Henri et Angèle ont un premier enfant prénommé Henri Marie François.
Le travail ne manque pas et Jean Henri embauche bientôt deux ouvriers, Léon Douaud et René Baudry. Au cours des années qui suivent, la famille Jaumouillé s'agrandit avec la naissance de deux filles, Marie Armance Catherine en 1884 et Cécile Armance Marie en 1887. Une fois ses études primaires terminées, le jeune Henri rejoint l'atelier familial où il apprend la charronnerie auprès de son père dont il va avantageusement remplacer les ouvriers à partir de 1896.
Maîtrisant le cintrage et l'embatage, Henri, qui a maintenant 20 ans, passe, au printemps 1902, devant le conseil de révision de Saint Philbert. Il est réformé à cause d'une « hernie » et versé dans les « services auxiliaires ». Malheureusement, la fiche matriculaire d'Henri Jaumouillé comporte bien des lacunes et nous ne savons pas si, à la suite de cette décision, il a simplement été « renvoyé dans ses foyers » ou s'il a « fait son temps », comme les autres, dans quelque unité militaire...
Quoiqu'il en soit, en 1905, Marie, la plus âgée de ses sœurs, quitte la maison paternelle pour épouser Léon Chabanon, un ferblantier de Saint Philbert. Quatre ans plus tard, en septembre 1909, son père meurt à l'âge de 59 ans. Henri se retrouve alors seul pour s'occuper de l'atelier. La tâche est d'autant plus difficile qu'il doit bientôt faire face à la concurrence. Un second charron, Auguste Lebert, s'installe au bourg en février 1910. Toujours célibataire, Henri vit avec sa mère et sa sœur Cécile. Mais, le 14 avril 1914, sa mère, âgée de 58 ans, disparaît à son tour. Dès le mois suivant, Marie revient s'installer avec son époux et leurs deux premiers enfants dans la maison familiale.
Bientôt la guerre éclate et en novembre 1914 Henri doit passer devant la commission de réforme qui siège à Nantes. Son état de santé ne s'étant pas amélioré, la décision du conseil de révision est confirmée : Henri est réformé n°2. Malheureusement tout change en juin 1915, quand, manquant d'hommes, l'armée se fait beaucoup moins exigeante ; cette fois, Henri est déclaré « bon pour le service armé ». Déjà âgé de 34 ans, lui qui n'a jamais fait de service militaire est appelé sous les drapeaux le 8 septembre 1915 et incorporé le lendemain au 132ème Régiment d'Infanterie, à Châtelaudren, dans les Côtes du Nord.
Son passage dans l'infanterie sera de très courte durée puisqu'il est redirigé dès le 18 septembre vers le 9ème Régiment du Génie dont le dépôt est alors replié aux Ponts-de-Cé, dans le Maine-et-Loire. Ce brusque changement de destination est-il dû à son état de santé difficilement compatible avec les exigences de l'infanterie ? Ou, à l'inverse, ses compétences en charronnerie n'apparaissent-elles pas plus utiles dans le Génie ?
Henri est affecté à la 26ème compagnie du 9ème R.G., une des « compagnies de dépôt de guerre ». Cette affectation nous amène à penser qu'il n'a très vraisemblablement jamais été envoyé au front. Cependant, quatre mois après son incorporation, le 16 janvier 1916, à 5 heures, Henri Jaumouillé meurt de « maladie », sans plus de précision, à l'hôpital mixte d'Angers.
En novembre de la même année, Cécile, la plus jeune sœur d'Henri, meurt prématurément à l'âge de 29 ans. Marie, qui a maintenant 32 ans, est la seule survivante de la famille Jaumouillé ; en l'espace de moins de sept ans, elle aura perdu ses parents, son frère et sa sœur... Après guerre, on la retrouvera au bourg de La Chevrolière en compagnie de son mari, toujours ferblantier, et de leurs trois enfants.
Mis en ligne le 19 mars 2015
38 / 75 Clément REMAUD, le cocher de L'Héronnière
Clément Emile Remaud est né le 20 juillet 1877 à Saint Etienne du Bois, en Vendée. Il vit et travaille sur la ferme de son grand-père jusqu'à son mariage avec une fille de Falleron, Alexina Groussin, en janvier 1902. Le jeune couple quitte alors la ferme familiale tout en restant dans le même village de La Boutière. Clément est journalier quand naît sa fille unique, Clémentine, en 1905. Plus tard, en 1907, la petite famille quitte Saint Etienne du Bois pour Palluau où Clément trouve sans doute un engagement plus intéressant.
Au bout de trois ans, la famille Remaud déménage à nouveau pour s'installer à Legé, rue du Champ de Foire ; Clément vient d'être embauché comme « domestique » par un médecin de la rue de La Chaussée, le docteur Aimé Fonteneau. Employé comme jardinier et factotum, il reste dans cette place pendant deux ans avant de partir pour Saint Philbert de Grand Lieu, en 1912, où il restera peu de temps.
C'est en effet en 1913 ou 1914 que Clément Remaud et sa famille arrivent à La Chevrolière. On les retrouve à L'Héronnière où Clément vient d'être engagé comme « cocher » par Marie Couët, une nièce d'Adolphe Couprie, le maire de La Chevrolière sous le Second Empire. Il remplace, dans cet emploi, Armand Martin, un autre Vendéen. Il n'est pas impossible que Clément ait eu aussi à maîtriser des chevaux-vapeur puisqu'on sait qu'en 1917 Marie Couët et sa sœur, Alice Couprie, disposaient d'une « voiture automobile », immatriculée 1607-L, encore très rare dans nos campagnes...
Quand la guerre éclate, Clément n'est pas directement concerné par la mobilisation générale. Réformé pour « hernie inguinale gauche » lors de son passage devant le conseil de révision du canton de Palluau, en 1898, il n'a pas fait de service militaire. Cependant, comme tous les hommes dans son cas, il doit passer devant la commission de réforme le 1er décembre 1914, à Nantes, et, comme beaucoup, il est reclassé « bon pour le service armé »...
Tenant sans doute compte de ses aptitudes à la conduite et au transport, l'autorité militaire affecte Clément Remaud au 11ème Escadron Territorial du Train des Equipages Militaires. Il est incorporé le 4 janvier 1915 au dépôt de Nantes. Le Train n'est pas une arme combattante mais le corps chargé du ravitaillement des troupes et des transports en tous genres. En tant que « territorial » Clément va prendre part à cette mission pendant toute l'année 1915, sans toutefois intervenir dans la zone du front.
Mais sa situation va brusquement changer à la fin de l'année quand, sous les effets conjugués d'une guerre qui dure, d'effectifs qui manquent et d'un effort de guerre qui s'accentue, on va faire appel aux territoriaux pour « complémenter » l'armée d'active. Le 1er janvier 1916, le conducteur de deuxième classe Clément Remaud passe au 10ème E.T.E.M., basé à Fougères, et monte aussitôt dans la Meuse. Sa présence dans la zone du front sera toutefois de très courte durée puisqu'atteint par la fièvre typhoïde, il est hospitalisé à Bar-le-Duc dès le 4 janvier ! Soigné sur place pendant trois semaines, il est ensuite envoyé en « congé de convalescence » à Nantes. Il est admis à l'Hôpital Broussais, « section de Doulon », le 25 janvier.
Malheureusement, sa convalescence tourne court quand il est victime d'une complication, fatale à cette époque : Clément Remaud meurt le 25 février 1916 d'une « péritonite [par perforation] consécutive à [la] fièvre typhoïde »... Alexina, sa veuve, et Clémentine, sa fille de 10 ans, se retrouvent seules. Elles quitteront La Chevrolière vers 1920, non sans avoir souscrit à la construction du Monument aux Morts pour la somme appréciable de 50 Francs.
Mis en ligne le 2 avril 2015
39 / 75 Georges PERRAUD, le canonnier de La Thuilière
Au printemps 1894, Julien Perraud meurt à Villegais à l'âge de 73 ans. Il y avait établi son foyer au début des années 1850 et quarante ans plus tard sa famille y prospérait encore. Trois mois seulement après sa disparition naît, le 24 juillet 1894, son premier petit-fils, Georges Gaston Jules François Marie Perrraud, cinquième enfant, mais premier garçon, de Jules Perraud et de Françoise Pairaud, originaire de Pont Saint Martin. La fratrie sera complète, deux ans plus tard, avec la naissance d'Henriette. En comptant les oncles, tantes et cousins, la maisonnée compte 16 personnes en 1901 !
Toutefois, pour des raisons inconnues, la famille Perraud quitte Villegais et se disperse au cours des années suivantes. En 1902, Georges, qui a maintenant 8 ans, sa petite sœur Henriette et leurs parents vont s'installer au Grand Fréty, en Pont Saint Martin, où vit déjà un oncle maternel. Mais peu de temps après leur arrivée, le père de Georges meurt prématurément, en janvier 1903, laissant sa famille dans la précarité. Quelques années plus tard, Françoise et ses deux enfants sont de retour à La Chevrolière. On retrouve bientôt Georges et Henriette à La Bourdinière où ils sont « domestiques » chez Eugène Guilbaud. Leur mère, quant à elle, est recueillie par une autre de ses filles, plus âgée, Augustine, et par son gendre, Eugène Visonneau, qui vivent à La Thuilière.
Arrive alors, pour Georges, l'âge du service militaire. Au printemps 1914, il est «ajourné pour faiblesse » mais finalement reclassé « bon pour le service armé » par la commission de réforme du 7 juillet suivant. Georges a 20 ans depuis deux jours quand le Conseil Municipal de La Chevrolière se penche sur la demande d'allocation journalière présentée par sa mère : « le conseil après avoir délibéré émet l'avis, par 9 voix contre 2, que la demande qui lui est soumise lui semble devoir être admise attendu que Madame Veuve Perraud est indigente, que les autres enfants ne peuvent lui venir en aide ; son fils, seul, lui remet régulièrement quelques secours et son départ la privera de son seul soutien. »
La guerre a éclaté depuis déjà un mois quand Georges reçoit sa « feuille de route ». Le 6 septembre 1914, jour du déclenchement de la bataille de la Marne, il prend le train pour Vannes où il est incorporé, le jour même, au 35ème Régiment d'Artillerie de Campagne. Après des « classes » sans doute quelque peu raccourcies, le deuxième canonnier Georges Perraud monte au front fin octobre ou début novembre alors que son régiment se trouve dans la Somme, au nord d'Albert, en appui des quatre régiments morbihannais et finistériens de la 22ème Division d'Infanterie. Les « canonniers conducteurs », dont Georges fait partie, sont chargés de déplacer les pièces d'artillerie et les caissons à munitions avec des attelages, de les mettre en batterie et de s'occuper des chevaux ; ils participent aussi aux tâches de manutention autour des canons de 75 mm dont le régiment est armé.
Son unité reste de longs mois dans le secteur de La Boisselle, aidant l'infanterie par des « préparations » d'artillerie, pilonnant le no man's land pour ouvrir des passages dans les barbelés et assommant la première ligne ennemie pour faciliter les attaques programmées. Au printemps 1915, Georges et son régiment glissent vers l'Artois et participent, en juin, aux combats d'Hébuterne. A la fin juillet, le 35ème R.A.C. est enfin relevé par l'artillerie britannique. En août, il prend la direction de la Marne où il prend part, à partir du 25 septembre, à la deuxième bataille de Champagne, dans le secteur de Perthes et de Tahure...
Fin octobre, Georges et plusieurs dizaines de canonniers de son régiment sont retirés de « l'enfer » champenois et renvoyés vers l'Arrière. Repassent-ils par le dépôt de Vannes ou prennent-ils immédiatement la direction de Lazenay, près de Bourges ? En tout cas, le 1er novembre 1915, Georges Perraud et ses camarades passent au 51ème Régiment d'Artillerie de Campagne et sont appelés à former une nouvelle batterie, la 111ème. Composée de 198 hommes, 115 chevaux, 26 voitures et 6 canons de 75, elle embarque à la gare de Bourges-La Fourchette le 25 novembre à 16h38. Après deux jours et deux nuits de voyage, elle arrive à Dunkerque le soir du 27. Mise à la disposition du groupement de Nieuport, elle prend le chemin de la Belgique dès le lendemain.
Georges Perraud (premier à droite) avec quelques camarades de sa batterie.
Photo sans date ni localisation (Collection N. Delaire-Gernigon)
Les canonniers conducteurs et leurs chevaux vont cantonner à Coxyde-Ville pendant que les officiers vont jusqu'à Nieuport et trouvent, avec beaucoup de difficulté étant donné l'étendue des polders, des emplacements satisfaisants pour leurs 6 pièces d'artillerie. Finalement, on décide que deux canons seront installés prêt du phare de Nieuport-Bains et que les quatre autres seront positionnés « à l'extrémité des dunes, au lieu-dit la Route Bleue ». Mais le sol trop sablonneux ne présente pas la stabilité voulue au moment du tir : « à cause des difficultés d'installation dans le sable, on construit pour les pièces, des plate-formes en béton armé. Le transport des matériaux et des munitions est très difficile : les chariots s'arrêtent à Nieuport-Bains ». Les travaux, commencés à la mi décembre, ne sont terminés que le 9 janvier. Le lendemain, la batterie est enfin opérationnelle et peut commencer à tirer et riposter sur les positions ennemies situées sur la rive droite de l'Yser. Le 26, « la batterie participe à une action générale de toute l'artillerie avec la coopération de la flotte anglaise […] 54 bombes sont tirées sur la Villa Crombez, centre de résistance ennemi ».
En février, la construction d'écuries s'achève à Coxyde-les-Bains alors qu'à proximité des pièces d'artillerie on poursuit l'aménagement d'abris semi-enterrés couverts par des tôles-voussoirs qui leur donnent l'allure de tunnels. A partir du 22, toutefois, la guerre reprend ses droits et les tirs allemands se font plus nombreux. Pour son malheur, Georges n'est pas de service d'écurie, le 26 février, mais posté en renfort à la 6ème pièce...
Or, « à la demande du chef de bataillon du P.C. de première ligne, un tir est exécuté par la batterie : 24 bombes sont tirées, 6 par les pièces du Phare, 18 par les pièces de la Route Bleue. Au cours de ce tir, la section de la Route Bleue est violemment prise à partie. La 6ème pièce est atteinte : 5 blessés (2 grièvement, 3 légèrement dont le chef de pièce). Malgré ses blessures, le personnel de la pièce continue à tirer, montrant ainsi son attitude énergique sous le feu. Les blessés graves sont Perraud et Pasquier, les blessés légers : Rey, Pudal et le maréchal des logis Pion. Le canonnier Perraud meurt de ses blessures (pied coupé, jambe brisée) en arrivant au poste de secours de Nieuport-Bains (inhumation fixée au 1er mars à 6h30 au cimetière de Nieuport-Bains, près l'église) Les autres blessés sont évacués sur l'ambulance 2/38. Un compte rendu est fait à l'Etat-Major du groupement. Proposition de citation pour la pièce. » Trois jours après l'enterrement de Georges Perraud, le 4 mars 1916, la 6ème pièce de la 111ème batterie du 51ème R.A.C. sera effectivement citée à l'ordre du régiment...
Le 19 ou le 20 mars 1916, le maire de La Chevrolière reçoit l'avis de décès du canonnier Perraud : « prière d'aviser la famille et plus particulièrement M. Visonneau Eugène à La Thuilière »... En 1918, Henriette, la sœur la plus proche de Georges, épousera Armand Visonneau, le frère d'Eugène, et l'accompagnera au château de La Rairie, en Pont Saint Martin, où il sera jardinier pendant plusieurs années. En juillet 1923, la dépouille de Georges Perraud sera rapatriée à la Nécropole nationale de Notre Dame de Lorette. La mère de Georges, quant à elle, restera à La Thuilière, chez son gendre et sa fille Augustine1, jusqu'à sa mort en 1939.
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Mis en ligne le 16 avril 2015
40 / 75 Antoine GUILLON, le prisonnier de Limburg
Augustin (35/75) n'a que deux ans et demi quand naît, à la ferme de La Davière, le 7 avril 1894, le premier de ses trois frères, Edmond Antoine Célestin Guillon. Pendant ses jeunes années la vie d'Antoine, comme on l'appelle dans la famille, se confond avec celle de son frère aîné, puis avec celle de ses frères cadets, Marcel et Robert. A partir de 1908, tandis qu'il vient juste d'avoir 14 ans, Antoine va toutefois devoir remplacer Augustin placé alors comme « domestique agricole » à La Mône. Il le remplace à nouveau sur la ferme familiale quand Augustin part faire son service militaire à Fontenay-le-Comte, en 1912.
Au printemps 1914, Antoine a 20 ans... Il passe devant le conseil de révision de Saint Philbert qui le déclare apte au service armé. Puis c'est l'été... et la guerre ! Début septembre, Antoine Guillon reçoit déjà sa feuille de route pour le 153ème Régiment d'Infanterie qui vient de se replier à Béziers. Après Augustin, maintenu sous les drapeaux, Louis et Célestine voient partir leur deuxième fils... Antoine ne voyage sans doute pas seul jusqu'à Béziers puisque Léon Guilet, de Villegais, est incorporé au même régiment et à la même date que lui, le 7 septembre 1914.
Moins de trois mois plus tard, après leurs classes, Antoine et Léon quittent le Midi pour rejoindre, avec plus de 300 autres jeunes recrues, le gros du régiment qui combat en Belgique, près de la ville d'Ypres. Le 29 novembre, ces renforts arrivent à Woesten où ils sont répartis entre les différents bataillons. Antoine se retrouve dans le 3ème bataillon, 12ème compagnie. Quelques jours plus tard, à peine habitué à la boue des tranchées flamandes et au feu de la première ligne, il participe à l'attaque de Poelcappelle, le 11 décembre 1914. Cette attaque tourne à la déroute ; ce jour-là, entre les tués, les blessés et les disparus, le 153ème R.I. perd 700 hommes !
Antoine Guillon est de ceux-là. Il figure au nombre invraisemblable des 102 « disparus » de sa seule compagnie. En fait, blessé par une balle à l'épaule droite pendant l'assaut, il est capturé sur le champ de bataille, transféré à l'ambulance allemande d'Oostnieuwkerke puis à l'hôpital de campagne d'Iseghem. De là, à une date que nous ignorons, il est acheminé avec de nombreux compagnons d'infortune vers l'Allemagne. On peut aisément l'imaginer dans ces colonnes sans fin qui marchent à longueur de jour sous l'escorte d'intraitables uhlans... Peut-être a-t-il « bénéficié », sur telle ou telle section du trajet, d'un transport en train ? Antoine et ses compagnons doivent traverser la Belgique occupée puis la Rhénanie, franchir le Rhin à Coblence avant d'arriver, au terme d'un triste voyage de plus de 400 kilomètres, à Limburg-an-der-Lahn, dans le « staat » de Hesse-Nassau.
Commence alors pour Antoine une vie de captivité à propos de laquelle nous ne disposons d'aucun élément précis mais dont nous connaissons par ailleurs la dureté. Le camp de Limburg, composé de vastes baraquements, est peuplé de plus de 8000 prisonniers, essentiellement français et russes. Dépendent également de ce camp près de 6000 autres prisonniers envoyés dans des « détachements de travail » et logeant à l'extérieur. Antoine a-t-il fait partie pendant un temps de ces « arbeitskommandos » ou bien est-il resté dans l'enceinte du camp ? Y a-t-il croisé Pierre Blais, un autre Chevrolin (le frère de Jules, 33/75) qui a également séjourné pendant plusieurs mois dans ce camp en 1915 ?
Toujours est-il que la promiscuité, le froid, l'humidité, le manque de nourriture et, peut-être, les séquelles d'une blessure mal soignée l'affaiblissent et ont bientôt raison de sa santé. Il contracte la tuberculose et se retrouve au « lazaret des prisonniers ». A quelle date y a-t-il été transféré ? Une liste de la Croix Rouge nous apprend qu'il y est déjà le 6 novembre 1915. Il n'en ressortira pas. Antoine Guillon y meurt le 24 mars 1916 de « tuberculose pulmonaire et intestinale ». Il est inhumé le 26 au cimetière militaire de Dietkirchen, « tombe n°2 »...
A La Davière, ses parents, Louis et Célestine, qui ont déjà appris trois mois plus tôt la mort d'Augustin, leur fils aîné, voient à nouveau le malheur s'abattre sur eux. Dans les premiers jours de mai, Louis Tallé, le facteur, leur apporte un pli expédié depuis Genève par l'Agence Internationale des Prisonniers de Guerre de la Croix Rouge. A l'intérieur se trouve le formulaire qui leur annonce la mort d'Antoine, en précisant : « il a peu souffert ; a eu l'assistance d'un prêtre et a été enseveli avec les honneurs religieux et militaires »... Beaucoup plus tard, par l'intermédiaire de la Croix Rouge qui la remettra au Ministère de la Guerre, ses parents recevront sa « succession : une bourse avec 4,35 marks en chèque, un calepin, deux lettres »...
Quand les cloches de l'église de La Chevrolière sonneront enfin l'Armistice, la famille Guillon aura payé un lourd tribut à la guerre. Non seulement elle y aura perdu deux de ses fils, mais le troisième, Marcel, blessé par un éclat d'obus au bras gauche en août 1916, en sera revenu invalide... En 1927, Marcel, son épouse et ses enfants, ainsi que ses vieux parents quitteront La Davière pour s'installer à Viais.
Mis en ligne le 30 avril 2015
41 / 75 Auguste PADIOU, le « crapouillot » de La Chaussée
L'ironie de l'histoire veut que les deux frères Padiou de La Chaussée, Auguste et Paul (6/75), aient été appelés le même jour sous les drapeaux. Le vendredi 9 octobre 1913, pendant qu'Auguste rejoignait Vannes, Paul prenait, lui, la direction d'Angers. Les deux frères partaient aussi, ce jour-là, vers le même destin tragique...
Joachim Auguste Stanislas Padiou est l'aîné des trois fils issus du mariage de Joachim, roulier de son état, et de Félicité Ordrenneau, « cabaretière ». Il est né à La Chaussée, à côté du modeste café-épicerie familial, le 14 septembre 1891, un an avant Paul et huit avant Félix. Très tôt, Auguste accompagne son père dans ses tournées et, marchant sur ses pas, devient roulier à son tour. Le peu de temps libre dont il dispose, il le consacre à la pêche et à la chasse, « loisirs alimentaires » qui sont, à cette époque, aussi nécessaires que répandus dans la population. Ce passe-temps bien ordinaire lui vaut toutefois une forte amende de 50 Francs, en février 1909, alors qu'il est pris à chasser sans permis ! Les archives ne disent pas s'il a accepté de la payer intégralement ou préféré voir son fusil confisqué en échange d'une diminution de moitié de son montant...
Au printemps 1912 sonne l'heure pour lui du conseil de révision mais Auguste est « ajourné à un an pour faiblesse ». L'année suivante, sa constitution et son état de santé n'ayant guère évolué, il est « classé service auxiliaire pour musculature insuffisante et varices »... Le 9 octobre 1913, Auguste est donc incorporé à Vannes, au 35ème Régiment d'Artillerie de Campagne. Dans quel service du Quartier Foucher-Careil se retrouve-t-il en tant que « personnel auxiliaire » ? Nous l'ignorons. Peut-être y croise-t-il Georges Perraud au début de l'automne 1914 ou d'autres Chevrolins de sa connaissance. Mais son moral et sa situation militaire vont brusquement s'assombrir lorsqu'il apprend, coup sur coup, la mort de son frère Paul sur le front de Champagne et la décision de la commission spéciale de réforme de Vannes de le reclasser « service armé » le 26 octobre 1914. Foin des varices et d'une musculature trop faible, la France est en guerre et, après l'hécatombe des mois d'août et de septembre, elle a plus que jamais besoin de soldats ! Auguste reçoit alors, sur place, la formation militaire du canonnier-servant à laquelle il avait longtemps cru échapper...
Auguste Padiou monte au front fin novembre ou début décembre alors que son régiment se trouve dans la Somme, au nord d'Albert, en appui des quatre régiments morbihannais et finistériens de la 22ème Division d'Infanterie. Comme deuxième canonnier-servant, Auguste est chargé de « servir », avec six autres artilleurs, un canon de 75 mm : il participe à son entretien, à sa mise en batterie, et assume les fonctions de pourvoyeur ou de chargeur ; mais, vu son grade, il n'est ni le tireur ni le maître-pointeur.
Son unité reste de longs mois dans le secteur de La Boisselle, aidant l'infanterie par des « préparations » d'artillerie, pilonnant le no man's land pour ouvrir des passages dans les fils de fer et assommant la première ligne ennemie pour faciliter les attaques programmées. Au printemps 1915, Auguste et son régiment glissent vers l'Artois et participent, en juin, aux combats d'Hébuterne. A la fin juillet, le 35ème R.A.C. est enfin relevé par l'artillerie britannique. Mais le 11 août, Auguste quitte ses camarades et passe au 45ème Régiment d'Artillerie de Campagne. Il prend immédiatement la direction de Bourges où se trouve le « centre d'instruction du matériel de 58 ».
En effet, une nouvelle arme, plus adaptée à la guerre de tranchée, a fait son apparition dans la première moitié de l'année 1915 et s'avère alors terriblement efficace. Il s'agit du mortier de tranchée 58T, le fameux « crapouillot », surnom dont on affublera également, par extension, les artilleurs qui le servent. Avec une portée de 350 à 600 m, une cadence de 3 coups par minute, un faible encombrement et, surtout, un tir courbe, c'est l'arme « idéale » dans ce type de combat. Après avoir reçu la formation spéciale que son utilisation nécessite, Auguste, un insigne en forme de bombe à ailettes cousu sur la manche gauche, est affecté à la 101ème Batterie, dotée de ce mortier depuis le mois de juin, et monte avec elle sur le front d'Argonne, entre Clermont et Vauquois...
Un crapouillot dans une tranchée, à Vauquois, en juillet 1915 (Source : BDIC).
On raconte que l'artillerie aurait profité de la création de ce nouveau corps pour se débarrasser de ses « fortes têtes » en les envoyant goûter à une vie de tranchée beaucoup plus pénible et beaucoup plus dangereuse... Toujours est-il qu'Auguste passe l'automne et l'hiver suivants dans un des secteurs les plus meurtriers du front. Il s'y illustre, pourtant, en étant cité à l'ordre du régiment le 4 février 1916 : « Canonnier plein de sang froid et d'énergie. Le 2 février, a servi avec beaucoup de crânerie une pièce violemment bombardée ou un 4ème servant a été tué » ; à quoi attribuer cette réaction héroïque et remarquée ? A l'instinct de survie ? Sans doute. Mais peut-être aussi à la rage causée par la mort, juste à ses côtés, de Désiré Julien, un bon copain de 21 ans...
Le printemps arrive mais la guerre continue dans ce qui reste de la forêt d'Argonne et à la mi-avril la batterie d'Auguste est postée dans le Ravin des Courtes-Chausses, légèrement en retrait et en contrebas des premières lignes de tranchées. C'est là que le 16 avril 1916, « à onze heures cinq minutes, [Auguste est mortellement] atteint par un projectile »... Voici ce qu'on lit, à cette date, dans le journal de la 101ème Batterie : « Avons à déplorer la perte du 2ème canonnier Padiou tué à la pièce D qui se trouvait en plein tir, le canonnier Vigué [qui mourra le 12 mai] grièvement blessé »...
Trois semaines plus tard, les Padiou reçoivent la visite du maire ou de son adjoint qui leur annonce, à nouveau, la mort d'un fils... En juillet, l'officier-comptable du 45ème R.A.C. verse un secours de 150 Francs aux parents des deux frères Morts pour la France.
Après la guerre, Joachim et Félicité vivent toujours à La Chaussée, à proximité de leur dernier fils, Félix, et de son épouse. En mars 1924, on les informe que la dépouille d'Auguste a été transférée du cimetière de Lachalade (Meuse) à la Nécropole nationale de La Forestière, toute proche. La même année naît Juliette puis, en 1927, un petit-fils, Paul, à qui on a évidemment donné le prénom de l'un de ses deux oncles tombés au champ d'honneur...
Mis en ligne le 14 mai 2015
42 / 75 Donatien FREUCHET, « sous un déluge de feu »
Donatien Jean Marie Freuchet naît aux Hautes-Huguetières le 29 décembre 1882. Il est le quatrième enfant d'un couple de cultivateurs, Julien Freuchet et Rose Dautais, originaires du Grand Panveau pour lui, de La Bastière pour elle. Jeanne, née en 1876, Joseph, né en 1878 et Ernestine, née en 1881 l'ont précédé ; Arthur, qui naîtra en 1886, et Marie, en 1890, compléteront la fratrie. Julien travaille sur la ferme en association avec son frère aîné, Joachim. Les Freuchet sont alors nombreux aux Huguetières. Les deux frères, leurs épouses et leurs enfants, sans oublier Auguste, un autre frère célibataire qui vit et travaille avec eux, voilà quinze personnes que l'exploitation familiale doit nourrir, tant bien que mal.
Donatien a 10 ou 12 ans quand Julien Freuchet et sa famille quittent Les Huguetières pour s'installer au Bon Guéret. Les Guilbaud sont leurs nouveaux voisins et leur fils Edouard (26/75) est à peine plus jeune que Donatien ; on peut imaginer que les deux garçons se connaissent bien. Donatien travaille depuis déjà plusieurs années sur la ferme familiale quand, au printemps 1902, sonne l'heure du conseil de révision.
La décision tombe, sans appel : Donatien est « exempté pour rachitisme ». Les archives ne nous disent rien de la façon dont notre garçon l'a vécue : soulagement ou frustration ? N'oublions pas qu'à cette époque le « régiment » est aussi synonyme de découvertes et de rencontres, une chance souvent unique dans la vie d'un paysan de prendre quelque distance avec un horizon limité et une activité aussi dure que répétitive. A 20 ans, l'exemption peut aussi être vécue comme une blessure intime : quelle image laissera-t-on dans le regard de ses conscrits et des filles à marier ?
Bon gré mal gré, Donatien reste au Bon Guéret. Au cours des années suivantes, il voit son frère Joseph épouser Valentine Guillou en 1907, puis il perd sa mère en 1909 et assiste en 1910 au mariage de sa sœur Ernestine avec Eloi Béranger. Il voit naître aussi, à la ferme, ses neveux, Joseph et Rogatien, les deux fils de Joseph... Quand la guerre éclate, Donatien, qui va déjà sur ses 32 ans, est toujours célibataire. Le 14 décembre 1914, il repasse devant le conseil de révision qui, sans doute à sa grande surprise, le classe « bon service armé » !
Il est appelé à l'activité le 23 février 1915 et incorporé le lendemain au 68ème Régiment d'Infanterie dont le dépôt se trouve au Blanc, dans l'Indre. Donatien avait déjà dû entendre parler de ce régiment et de la caserne Chanzy puisque son frère, Joseph, y avait fait son temps une quinzaine d'années auparavant. Fin avril ou début mai, après des « classes » accélérées, Donatien est envoyé combattre sur le front d' Artois où se trouve alors son régiment. Il reçoit le baptême du feu entre Lens et Noeux-les-Mines. Après deux mois passés dans les tranchées de ce secteur, le 68ème R.I. est relevé le 2 juillet. S'ensuit une période de retrait et de repos relatif dans la Somme puis dans l'Oise, en juillet. A la mi août, Donatien et son régiment remontent en ligne dans la Somme, près de Lihons, puis, au début septembre, de nouveau en Artois, autour de Wailly. C'est là que le 68ème R.I. est passé en revue par le général Foch, le 17 septembre.
La semaine suivante, alors qu'est déclenchée la grande offensive de Champagne, commence pour Donatien et ses camarades une bataille de diversion qui a pour but de fixer l'ennemi en Artois. Voici le récit de l'une des attaques auxquelles a participé Donatien Freuchet, soldat de la 5ème compagnie, le 24 septembre, telle qu'elle est rapportée dans le journal régimentaire : « [Dans la première vague] les 5ème et 6ème compagnies, plus favorisées (les fils de fer ayant été complètement détruits), arrivent à la 1ère tranchée ennemie. Un combat au corps à corps se livre dans la tranchée. Ne se sentant pas soutenus, ni à gauche (le 114ème n'ayant pu atteindre la tranchée ennemie) ni à droite (la brigade marocaine n'ayant pu s'emparer du Bois de Blaireville) et sans direction par suite des pertes en officiers et sous-officiers, les hommes qui avaient atteint la première tranchée se retirent […] jusqu'à la tranchée de départ »...
Début octobre, le régiment de Donatien se déplace au nord d'Arras pour relever des troupes britanniques dans le sous-secteur de Loos-en-Gohelle. Il y reste jusqu'en mars 1916, dans des conditions de plus en plus pénibles ; à la date du 24 décembre, on lit que « depuis deux jours les demandes de claies, planches, sacs à terre n'ont pas reçu satisfaction. Sous les obus ou sous la pluie, les boyaux et les tranchées s'écroulent et tous les efforts faits pour les relever restent vains faute de revêtement. Cette situation ne peut pas durer »... Pour améliorer le moral des troupes qui commence sérieusement à faiblir au cours de cet hiver 1915-1916, on voit se développer les « Revues » puis le « Théâtre aux Armées ». Ainsi, pendant que Donatien et ses camarades du 2ème Bataillon occupent les tranchées du Bois en Hache, les deux autres bataillons du 68ème, en cantonnement à Hersin-Coupigny, sont invités à se distraire un peu : « 28 janvier à 18h, au baraquement, séance récréative agrémentée par la présence du chansonnier Dominique Bonnaud »...
Le 9 mars, le régiment de Donatien est enfin relevé par « les Anglais » et transporté, le 15, dans la région de Dunkerque pour une période de repos bien méritée. Son bataillon cantonne à Coudekerque jusqu'au 31 mars, date à laquelle il se rend à Bergues pour embarquer à bord d'un train qui le conduit à Dompierre-Ferrières, dans l'Oise, où il stationne jusqu'au 13 avril. Il en repart alors pour atteindre Givry-en-Argonne le lendemain. Le 18, les hommes du 68ème sont enfin transportés par autobus à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Verdun où la terrible bataille fait déjà rage depuis deux mois...
Dans la nuit du 19 au 20 avril, Donatien et son régiment relèvent le 160ème R.I.. Ils montent en première ligne sur la commune du Mort-Homme, dans le secteur de la cote 304 et du Bois Eponge. Il s'agit d'arrêter, coûte que coûte, la progression allemande qui se poursuit alors sur la rive gauche de la Meuse. Le 21, le bombardement ennemi s'intensifie mais c'est le samedi 22 qu'il va atteindre son paroxysme. Voici ce que note l'officier dans le journal de marche : « Violent bombardement avec pièces de tous calibres le 22 avril de midi à 18 heures sur tout le front du 68ème. Le même jour vers 16h15, attaque du saillant du Bois Eponge par deux compagnies ennemies. L'ennemi n'a pas pu atteindre nos tranchées ». A propos de cette veille de Pâques 1916, le vétéran qui publiera en 1919 L' Historique du 68ème R.I. fait ce récit effrayant : « le bombardement s'accroît de minute en minute, des rafales de 210 et de 150 arrivent par six, par douze à la fois, sans parler des 105 et des 77 »...
Au terme de ce déluge de fer et de feu, pendant lequel on pouvait compter jusqu'à 120 coups d'obus par minute, le 68ème dénombre 51 tués et 75 blessés au nombre desquels figure notre Chevrolin. Gravement blessé, Donatien est évacué par train sanitaire, une dizaine de jours plus tard. Le 3 mai, il arrive à Paris où il est admis à l'hôpital militaire Villemin, dans le 10ème arrondissement. Mais le jour-même, le médecin-chef envoie un télégramme, qui ne laisse guère d'espoir, au maire de La Chevrolière : « donne graves inquiétudes, informez famille au Guéret... ». En effet, dès le lendemain, 4 mai 1916, Donatien Freuchet meurt « des suites de blessure de guerre »... Il est inhumé, le 6 mai, dans le carré militaire de Pantin. Quelque temps plus tard, au Bon Guéret, son père recevra sa « succession » : « 10,75 Francs, une pièce belge de 10 centimes, trois médailles de piété, un porte-monnaie »...
Après guerre, la famille Freuchet vit toujours au Bon Guéret. La ferme familiale abrite alors le père de Donatien, deux de ses sœurs restées célibataires, leur frère cadet, Arthur, qui a épousé Marie Hégron, de Montbert, en 1919, et leurs deux fils. Cependant toute la famille quittera Le Bon Guéret, en mai 1926, pour s'installer aux Barreaux en Pont Saint Martin.
Cette photo, prise en novembre ou décembre 1915, montre deux camarades de Donatien dans un poste d'écoute de première ligne du sous-secteur de Loos-en-Gohelle. La tranchée allemande n'est qu'à 20 mètres ! (Source : https://p3.storage.canalblog.com/36/41/23149/108791734_o.jpg)
Mis en ligne le 28 mai 2015
43 / 75 Alphonse BAUDRY, un Passis à l'étrange parcours
Alphonse Théophile Baudry est né à Passay le 7 septembre 1874. Fils d'un pêcheur, Jean Joseph Baudry, et de son épouse, Jeanne Ringeard, Alphonse va grandir auprès d'Augustine, son unique sœur, née l'année précédente. Cette sœur aînée prend d'autant plus d'importance pour lui que leur mère meurt prématurément, le 13 mai 1886 ; Alphonse n'a alors que 11 ans et demi...
Bien vite le garçon va rejoindre son père sur le lac et devenir pêcheur à ses côtés tandis qu' Augustine partage son temps entre les tâches ménagères et une place de plumeuse chez le volailler Hervouet. Mais cela ne suffit pas et les Baudry vivent dans une grande pauvreté comme en atteste la délibération du conseil municipal du 17 février 1895 en réponse à la demande de dispense du service militaire qu'Alphonse vient de lui présenter : « Le Conseil considérant que la famille Baudry, qui est dans une complète indigence, a à sa charge le sieur Baudry Jean, aïeul du sollicitant, lequel n'a aucune ressource pour vivre, et que ledit Baudry Alphonse assure l'existence de ce vieillard par son travail est d'avis qu'il soit fait droit à sa demande. »
Malheureusement, si Alphonse obtient un ajournement de son départ pour l'année 1895, il est tout de même appelé sous les drapeaux l'année suivante. Le 14 novembre 1896, il rejoint Ancenis où il est incorporé au 64ème Régiment d'Infanterie. Promu caporal en septembre 1897, Alphonse est renvoyé dans ses foyers le 17 septembre 1898. Plus tard, il sera rappelé pour deux périodes d'exercices, à l'automne 1901 à Granville, au 2ème R.I., et à l'été 1904 à Nantes, au 65ème R.I.
Peu de temps après son retour, Alphonse Baudry, qui vient d'avoir 30 ans, convole en justes noces avec une jeune Passise de 22 ans, fille de pêcheur également, Marie Anne Brisson. Le mariage est célébré le 7 novembre 1904 et dès l'année suivante leur naît un fils prénommé Alphonse comme son père. Mais la vie est dure pour les pêcheurs du lac, surtout quand ils ont charge de famille et qu'en plus la maréchaussée s'en mêle... En novembre 1906, Alphonse est verbalisé pour « pêche de nuit avec engin prohibé » et doit s'acquitter d'une amende de 25 Francs !
Et puis la guerre arrive... Alphonse va avoir 40 ans lorsqu'il est rappelé le 13 août 1914. Vu son âge, il est incorporé au 81ème Régiment d'Infanterie Territoriale qui se forme à Nantes. Le 18, il monte dans le train qui l'emmène vers le front. Après un stationnement de quelques jours à Choisy-le-Roi, le 81ème R.I.T. arrive dans le Nord et subit le baptême du feu près de Bourghelles le 24 août. Puis, pendant un mois et demi, Alphonse et ses camarades, surpris par la « Course à la Mer », vont se replier jusqu'aux alentours de Rouen avant de remonter courant septembre dans la Somme, livrant des combats sporadiques mais meurtriers à Péronne, le 23, à Maricourt, Montauban, Fricourt, entre le 26 et le 29, autour d'Albert, enfin, au début octobre. Le front se stabilise alors et les territoriaux du 81ème se voient chargés de creuser et d'aménager des kilomètres de tranchées au sud-ouest d'Arras.
Le 16 décembre 1914, pour une raison inconnue, le caporal Baudry quitte le régiment nantais et passe au 10ème Régiment d'Infanterie Territoriale qui est alors chargé du « service des gares » de part et d'autre de la frontière franco-belge, entre Dunkerque et Poperingue. Alphonse va profiter de cette affectation enviable, à la fois moins pénible et moins exposée, pendant deux mois. Mais cette sinécure se termine de façon brutale ! En effet, le 16 février 1915, Alphonse est incorporé au 1er Régiment d'Infanterie Coloniale ! Passer ainsi, à 40 ans, de l'armée territoriale à l'armée coloniale, mériterait des explications que nous n'avons pas retrouvées. Aucune sanction disciplinaire n'apparaissant sur la fiche matriculaire de notre Passis, on en vient à se demander s'il ne s'est pas, tout simplement, porté volontaire...
Alphonse Baudry quitte alors le Nord pour l'Argonne où on le retrouve en première ligne autour de Vienne-la-Ville et du sinistre Bois de la Grurie. Pendant neuf mois, il endure la vie de tranchée, alternant les périodes « au feu » et les périodes de repos dans l'un des secteurs du front où les combats sont alors les plus acharnés. Il prend part à la deuxième et effroyable bataille de Champagne, à partir du 25 septembre, et lui survit encore ! Et puis, pour une raison à nouveau obscure, Alphonse repasse de l'armée coloniale à l'armée territoriale, le 26 novembre 1915 ! Le voici maintenant caporal à la 13ème compagnie du 77ème Régiment d'Infanterie Territoriale...
Que devient-il pendant les cinq mois suivants ? Se trouve-t-il encore sur le front ? A quel endroit ? La disparition du journal des marches et opérations de ce régiment et l'absence d'historique le concernant dans les publications d'après-guerre ne nous permettent pas de répondre à ces questions. Ces lacunes achèvent même d'épaissir le mystère qui entoure le parcours militaire de notre Passis. Alphonse ne réapparaît dans les archives que le 28 avril 1916, date de son admission à l'hôpital temporaire du lycée de Cherbourg ! C'est dans cette ville, en effet, que se trouve le dépôt de son dernier régiment. Quelques semaines plus tard, le 3 juin 1916, « à 4 heures », Alphonse Baudry meurt de « maladie contractée en service », sans plus de précision. En fait, la mémoire familiale nous apprend qu'Alphonse « avait de l'albumine » et qu'il aurait succombé à des complications consécutives à une injection.
La misère dans laquelle se trouvent alors sa veuve, Marie Anne Brisson, et leur fils de 11 ans amène le trésorier du 25ème R.I., autre régiment cherbourgeois auquel était lié celui d'Alphonse, à leur verser un secours d'urgence de 150 Francs dès le 12 juillet.
Après la guerre, Marie Anne se remariera, le 25 janvier 1919, avec Joseph Richard, un autre pêcheur. De ce deuxième lit naîtront deux filles, Georgette en 1920 et Jeanne en 1922. Plus tard, en 1927, Jean Joseph et Augustine Baudry, le père et la sœur de notre Poilu, mourront l'un et l'autre à deux mois d'intervalle. Dans les mêmes temps, le fils d'Alphonse, qui deviendra bientôt l'un des meilleurs pêcheurs de Passay, prendra femme et aura une fille, Gisèle, en 1929...
Mis en ligne le 18 juin 2015
44 / 75 Jean DAUTAIS, de Chantemerle à Verdun
Les Pasquier avaient quitté La Buchetière pour s'installer à Chantemerle vers 1874. Le fils épousa Henriette Toscan dès 1877, mais sa sœur, Jeanne Philomène, coiffa longtemps Sainte Catherine... Elle dut attendre ses 34 ans pour épouser Jean Baptiste Dautais, « domestique agricole » à La Grand'Ville. Encore son mariage fut-il assombri par la mort de sa mère survenue cinq jours auparavant... De cette union tardive naquit l'année suivante, le 30 octobre 1888, un fils unique, Jean Joseph Henri Dautais.
Quelques années plus tard, autour de 1894, le couple Dautais, leur petit garçon, dont le prénom usuel était Henri, et le grand-père, Charles Pasquier, quittent Chantemerle pour s'installer à Passay. La petite famille vit modestement des « journées » que chacun fait à droite et à gauche.
Jean, quant à lui, ne s'attarde pas sur les bancs de l'école. Dès l'âge de 12 ans il est recensé comme « cultivateur ». Il vit et travaille auprès de ses parents, jusqu'à ce que sonne l'heure du service militaire qu'il part accomplir le 7 octobre 1909, à La Roche-sur-Yon, au 93ème Régiment d'Infanterie. Deux ans plus tard, en septembre 1911, il quitte la caserne Travot pour retrouver la charrue qui l'attend à Passay.
Jean Dautais, toujours célibataire, va sur ses 26 ans quand la guerre éclate. Il est rappelé le 3 août 1914 et, en compagnie d'autres Chevrolins, comme François Corbineau (20/75), il prend le train de Legé dès le lendemain, à la gare de La Chevrolière. A son arrivée à La Roche-sur-Yon, le soldat Dautais est incorporé au 2ème Bataillon, 6ème Compagnie.
Le 93ème R.I. arrive à Reims le 8 août. Le régiment monte alors vers la Belgique qu'il atteint après huit jours de marche. Il prend part à l'effroyable bataille de Maissin le 22, puis au repli général vers la Champagne. Jean participe alors à la bataille de la Marne. Ce sont alors les marches forcées jusqu'à Compiègne où le régiment monte dans les trois trains qui vont le conduire sur le front de la Somme, entre Albert, La Boisselle et Beaumont-Hamel.
D'octobre 1914 à mars 1915, les deux régiments vendéens, le 93ème de La Roche et le 137ème de Fontenay, restent sur ce même secteur où ils se relaient régulièrement en première ligne. Le 17 mars, le 93ème R.I. glisse vers le secteur d'Hébuterne et de La Signy, plus au nord. C'est là que Jean Dautais est promu caporal, le 15 avril 1915, alors que son bataillon cantonne à Bus-lès-Artois. Il se trouve toujours dans ce secteur lorsque parvient, le 6 juin, l'ordre d'une attaque massive sur la ferme de Toutvent et le village d'Hébuterne.
Le lendemain, Jean et sa compagnie font partie de la première vague qui s'élance à 5 heures, baïonnette au canon... Ces combats acharnés vont durer 4 jours dans des conditions indicibles : les soldats s'abritent dans des trous d'obus, souffrent d'une chaleur accablante, doivent faire face à un tir de barrage incessant qui gêne considérablement le ravitaillement ; on manque d'eau et bientôt de munitions... Lorsque le 93ème est relevé dans la nuit du 10 au 11 juin, ses pertes s'élèvent à environ 1100 hommes...
Le régiment de Jean tiendra le secteur d'Hébuterne jusqu'au 21 juillet. A cette date, il est relevé par la 143ème Brigade anglaise et mis au repos autour du Mesnil-Conteville, dans l'Oise. Le 13 août, il est dirigé vers la Champagne où l'Etat Major commence déjà à concentrer de nombreux régiments. De Vitry-la-Ville, le 93ème R.I. monte par étapes vers Somme-Tourbe puis atteint les tranchées du Mesnil-lès-Hurlus et de la ferme de Beauséjour le 27 août.
A partir du 25 septembre 1915, Jean Dautais participe à la grande offensive de la deuxième bataille de Champagne. Son bataillon, d'abord en réserve, subit de nombreuses pertes à cause du pilonnage de l'artillerie allemande. Puis, à partir du 27, la sixième compagnie à laquelle notre homme appartient reçoit pour mission, avec d'autres unités, de s'emparer de l'ouvrage situé à l'ouest du Trapèze. L'objectif ne sera atteint, au prix d'âpres combats, que le 8 octobre au matin... Jean et ses camarades s'emparent à cette occasion « d'un canon-revolver sur affût complet en bon état avec munitions, de trois mitrailleuses intactes [...], de 1500 fusils, d'un lance-bombe et d'un nombre considérable de [...]munitions de toutes sortes ». Le 17, le bataillon de Jean, durement éprouvé, est enfin relevé et envoyé en bivouac pour quelques jours au sud de la Voie Romaine. Pour suppléer à un manque de cadres qui se fait alors criant, on décide la promotion de nombreux hommes du rang. C'est sans doute à la faveur de cette mesure d'urgence que Jean Dautais est nommé sergent le 21 octobre 1915.
Mais les pertes subies par le 93ème R.I. ont été décidément trop lourdes et, le 6 novembre, le régiment de Jean est transporté par « camions automobiles » à Soulanges, près de Vitry-le-François, afin d'y être réorganisé. Les troupes sont alors mises « au grand repos » jusqu'au 7 décembre, date à laquelle elles remontent vers Somme-Suippes et s'installent dans les tranchées du secteur de la Savate et de ses alentours. Le 93ème R.I. va tenir ces positions pendant tout l'hiver en alternance avec les 64ème et 65ème R.I.
Entre le 20 et le 23 avril 1916, le 93ème est relevé. Il quitte définitivement un secteur du front où il vient de combattre pendant huit mois Après avoir passé quelques jours au repos près de Châlons, il est envoyé, le 1er mai, à Mourmelon-le-Petit. Le bataillon auquel appartient le sergent Dautais doit y relever un « groupe cycliste ». Que s'est-il passé, pour notre Chevrolin, pendant ces déplacements et cette courte période de transition ? Les archives sont muettes sur cette question. Pourtant, le 3 mai, Jean est « cassé de son grade pour faute grave contre la discipline et remis soldat de 2ème classe »... Aucun indice, malheureusement, ne nous permet de faire la moindre supposition sur les causes de cette sanction dont on sait par ailleurs que, bien que sévère, elle n'était pas si rare.
C'est donc en simple soldat que Jean Dautais quitte la Champagne trois semaines plus tard. Après avoir été relevé puis rassemblé à Mourmelon-le-Grand le 25 mai, le 93ème R.I. se porte à Cuperly d'où il est transporté à Givry-en-Argonne dans la nuit du 26 au 27. De là, à pied, le régiment rejoint Verdun où il arrive le 9 juin à 22 heures. Le soir du 10, Jean et son bataillon sortent de la citadelle pour monter en ligne au Bois des Vignes. Le 12 juin 1916 à 7h15 trois compagnies, dont celle de Jean, la 6ème, « reçoivent l'ordre de se porter à la tête du Ravin des Vignes » pour contrer une tentative allemande d'infiltration entre l'ouvrage de Thiaumont et la cote 320.
Restes d'organisations défensives au Ravin des Vignes, automne 1916.
A 10h10, cette première mission accomplie, la 6ème compagnie reçoit l'ordre de repartir de l'avant pour occuper les retranchements situés à l'ouest de l'ouvrage de Thiaumont. L'attaque est lancée à 10h25. Un historique du régiment rapporte que « pour exécuter ce mouvement, il faut franchir la crête de Froideterre qui est soumise à un véritable tir de barrage d'obus de tous calibres, [que] l'ordre est néanmoins exécuté avec un entrain admirable, mais [que] malgré les précautions prises, les pertes sont nombreuses »... C'est en effet au tout début de cette nouvelle progression que Jean Dautais allait être fauché, à 10h30 précises...
L'acte de décès de notre Chevrolin ne sera dressé que le 21 juin par le sous-lieutenant Jolly, « officier Chargé des Détails du 93ème R.I. ». D'abord inhumé au cimetière des Quatre Cheminées, sa dépouille sera transférée le 24 février 1920 au Cimetière Militaire de l'Ecluse, à Bras-sur-Meuse, « tombe n°23, rangée 10 ». Avec lui s'éteint aussi l'une des deux plus anciennes branches de la famille Dautais dont l'implantation à La Chevrolière remontait, pour le moins, au XVIIème siècle.
Après la mort de son fils unique puis de son époux, en septembre 1921, Philomène Dautais, désormais âgée et sans ressource, quittera Passay pour La Michellerie. Elle y sera recueillie par Fernand Padiou dont l'épouse, veuve en premières noces d'Emile Freuchet (29/75), était sa nièce par alliance. La « tante Dautais » s'y éteindra le 29 décembre 1935 à l'âge de 82 ans. Songeons enfin, un instant, qu'à cause de la Grande Guerre, chacun des trois habitants de cette seule maison aura eu à déplorer la perte, qui d'un frère, qui d'un mari, qui d'un fils...
Mis en ligne le 10 septembre 2015
45 / 75 Gustave RICHARD, l'oncle que Tino n'a pas connu
Jean Marie Richard et Aimée Albert étaient mariés depuis cinq ans lorsque naquit, à Passay, le 25 septembre 1894, leur deuxième et dernier enfant, Gustave Jean Marie Emile. Un grand frère, Marcel, l'avait précédé de quatre ans.
Chez les Richard, on vit de la pêche depuis des générations et dès qu'il en a l'âge Gustave rejoint son père et son frère sur le lac. Il y retrouve aussi son oncle Maurice et son cousin germain, Ambroise (29/75), qui a le même âge que lui et qui partagera le même destin...
Mais, le 27 juillet 1914, Gustave est de la noce ! Celle de son frère Marcel qui épouse ce jour-là Reine Fèvre, la fille d'un marchand de volailles « exilé » aux Trois Moulins et de Marie Anne Josnin de Passay. Cependant la fête sera de courte durée... Moins d'une semaine plus tard, c'est la guerre !
Gustave voit le jeune marié rejoindre Angers et le 6ème R.G. dès le 3 août... Un mois plus tard, c'est son tour. Il n'a pas 20 ans lorsqu'il se retrouve à Tours, incorporé « par anticipation » le 8 septembre 1914, au 66ème Régiment d'Infanterie. A la caserne Baraguey d'Hilliers, notre jeune pêcheur suit des « classes » accélérées. Deux mois plus tard, le 16 ou le 27 novembre, Gustave arrive déjà sur le front belge qui vient de se stabiliser au lendemain de la première bataille d'Ypres : « A 9h30, présentation des recrues au Drapeau et aux anciens. Vibrante allocution du commandant de Villantroys. Très belle cérémonie »...
Les choses sérieuses vont commencer dans la nuit du 28 au 29 novembre quand le 66ème remonte en ligne au nord d'Ypres, autour de Veldhoek. Notre Passis découvre alors les « mauvaises tranchées, dans l'eau et la boue glaciales, sous une fusillade incessante ». Cette situation dure tout le mois de décembre aggravée encore à partir du 22 par de violentes attaques ennemies que le 66ème peine à juguler. Les pertes sont nombreuses. Le 29, la tempête balaie le champ de bataille et vient s'ajouter à une « canonnade intermittente ». C'est dans cet enfer que le lendemain, 30 décembre, Gustave est blessé une première fois. Une balle lui traverse l'épaule droite : « plaie en séton à travers le deltoïde droit »...
Il quitte les tranchées de Veldhoek pour être soigné à l'ambulance pendant que son régiment, relevé par le 32ème R.I., « va au demi repos ». L'humour grinçant de l'officier qui relate alors ce mouvement dans le journal de marche en dit long sur le quotidien des Poilus : « 2ème Bataillon à la Butte aux Anglais où il se trouve mal, 1er Bataillon au Château sans nom où il n'est pas mieux, 3ème Bataillon à la ferme Bellewaerde où il est embourbé. Ainsi commence dans la saleté mais dans la gaieté l'année 1915 »...
Gustave reprend rapidement l'activité et va rester avec son régiment sur ce même secteur jusqu'au début du printemps 1915, participant, entre autres, aux assauts meurtriers d'Hérenthage du 19 au 21 février. Le 27 mars, le 66ème R.I. est enfin « enlevé en autobus pour Wormhout » situé en arrière du front. A partir de cette date et jusqu'au 24 avril, Gustave et ses camarades vont descendre vers l'Artois par de longues étapes de marche quasi quotidiennes qui les conduisent depuis les environs de Saint Omer jusqu'au Souich, au sud du Pas-de-Calais. Ces marches, comme celle du 9 avril, par exemple, sont toujours préférées au danger et à l'inconfort permanents de la tranchée : « départ 5h50, arrivée au cantonnement à 15h après une bourrasque de neige accompagnée d'éclairs et de tonnerre ; marche assez longue et pénible effectuée avec entrain »...
Mais le 25 avril 1915, le régiment remonte dans des autobus qui le ramènent promptement en Belgique où la deuxième bataille d'Ypres vient de commencer trois jours plus tôt. A cette occasion, les Allemands ont déclenché la première attaque au gaz, surprenant et désorganisant les tranchées alliées. S'engagent alors des combats acharnés auxquels participe le régiment de Gustave. Du 27 au 30 avril, l'ardeur des combattants du 66ème R.I. réussit à arrêter l'offensive ennemie : « de l'aveu d'un officier allemand prisonnier, nos attaques […] les ont remplis d'admiration et de terreur »...
Le 5 mai, le régiment est relevé et prend à nouveau la direction de l'Artois où il arrive, par chemin de fer, le lendemain. Il remonte en ligne le 9, autour de Mont Saint Eloy, et va y combattre jusqu'au 31. Les combats sont rudes, les mitrailleuses ennemies redoutables. Certains jours les pertes sont effroyables, comme le 11 mai, où l'on dénombre 420 soldats mis hors de combat, tués ou blessés... Juin se passe également autour d'Arras. Les combats et les bombardements ne laissent aucun répit aux hommes du 66ème qui sont « éreintés »...
Le 3 juillet 1915, ils sont enfin relevés et envoyés au repos. Pendant deux mois, ils alternent alors des temps d'inactivité complète, des périodes d'exercice, d'instruction ou de travaux défensifs, cantonnant successivement dans le Pas-de-Calais, la Somme, puis l'Oise. Le seul événement notable se déroule à Villers-Bretonneux, le 23 août, quand le 66ème R.I. participe à la revue de la 18ème Division d'Infanterie. Gustave a-t-il aperçu à cette occasion le président Poincaré, le roi Albert, Lord Kitchener, ou Alexandre Millerand, le ministre de la Guerre ?
Pendant les six mois qui suivent, du 26 août 1915 au 28 février 1916, le 66ème R.I. combat à nouveau en Artois, en alternance avec l'autre régiment tourangeau, le 32ème, d'abord au sud d'Arras, dans le secteur d'Agny, puis, pendant tout l'hiver, au nord de Lens. Cette longue période d'activité ne sera interrompue que par une douzaine de jours de vrai repos, à Noeux-les-Mines, entre le 14 et le 26 décembre. Peut-être Gustave en a-t-il profité pour arroser avec ses compagnons d'armes son galon de soldat de première classe obtenu le 1er décembre ?
Le 28 février 1916, il quitte le front avec son régiment pour quelques semaines de repos bien méritées à proximité de Berck et d'Etaples. Puis entre le 31 mars et le 23 avril, par petites étapes, par « voie de terre » ou chemin de fer, le régiment de Gustave prend lentement mais sûrement la direction de la Meuse... Le 66ème se retrouve alors à une douzaine de kilomètres au nord ouest de Verdun où il relève les 2ème et 4ème Bataillons de Chasseurs à Pied et prend position, pendant la nuit de Pâques, dans le secteur du Bois Camard, côte 304, à quelques centaines de mètres seulement de l'endroit où, quelques heures plus tôt, Donatien Freuchet (42/75) vient d'être mortellement blessé...
Pendant 15 jours, les hommes du 66ème et des régiments qui l'entourent subissent un pilonnage quasi incessant de l'artillerie allemande mais tiennent bon au prix de pertes considérables : « ils ne passeront pas »... Rien que le 6 mai, on dénombre 150 tués et 397 blessés au 66ème ! Gustave en fait partie : sous ce déluge apocalyptique, il est en effet victime d'une « commotion cérébrale ». Par chance, son régiment est relevé dès le lendemain et envoyé au repos à Chancenay, près de Saint Dizier.
Notre Passis, blessé pour la deuxième fois, est sans doute remis lorsque le 29 mai, le 66ème prend la direction de Suippes, dans la Marne, où il arrive le 3 juin. Il prend position dans le secteur de Souain où le front est alors d'autant plus calme que la bataille de Verdun fait rage à 70 kilomètres de là. Cependant, calme ne signifie pas sans danger... Le 25 juin, pendant une "théorie", Gustave est blessé pour la troisième fois ! "L'explosion intempestive de grenades" lui occasionne une « plaie au crâne ». On lit à cette date dans le journal du régiment : « Rien à signaler, deux blessés à la 4ème [compagnie] »... Toutefois, Gustave Richard ne se relèvera pas de cette blessure accidentelle. Il meurt le lendemain, 26 juin 1916, à Suippes, où on l'a transporté...
La guerre terminée, son frère Marcel, le jeune marié de 1914, qui a été « intoxiqué devant Douaumont » en octobre 1918, rentre à Passay et retrouve les siens. Après Marcelle, née dès 1915, il aura quatre autres enfants : Aimée en 1919, Jeanne en 1922, puis deux fils, René en 1924 et Bernard en 1928. Ce dernier, bien connu des Chevrolins sous le surnom de Tino, deviendra, dans la seconde moitié du XXème siècle, l'une des figures marquantes des pêcheurs de Passay...
Mis en ligne le 8 octobre 2015
46 / 75 Henri BARILLERE, tué au premier jour de la Bataille de la Somme
Henri Pierre Joseph Barillère est né le 29 octobre 1881 au bourg de La Chevrolière. Ses parents, Pierre Barillère et Angèle Bretagne, sont mariés depuis un an et vivent alors chez ses grands-parents maternels, François Bretagne et Anne Biton.
Modestes cultivateurs, Pierre et Angèle quitteront toutefois les beaux-parents pour s'installer dans une maison un peu plus grande où ils accueilleront bientôt six autres enfants : Adolphe, en 1883, Marie en 1887, Ernest en 1889, Eloi en 1891, Angèle en 1894 et, enfin, Edmond en 1900. Tant de bouches à nourrir amènent les Barillère à « placer » leur aîné dès qu'il en a terminé avec l'école. Henri se retrouve ainsi domestique au Planty, chez Auguste Padiou. Il y côtoie pendant plusieurs années, sans le savoir, deux de ses futurs beaux-frères et une de ses futures belles-soeurs : en effet, Georges (57/75), puis après sa mort, Pierre Padiou, épouseront sa soeur Angèle, tandis que son frère Eloi épousera Marie Padiou...
Mais le jeune homme quitte la ferme quand sonne l'heure du service militaire. Il est incorporé le 14 novembre 1902 au 68ème Régiment d'Infanterie, partagé entre les garnisons du Blanc et d'Issoudun, dans l'Indre. Ayant tiré un bon numéro, il est de retour dès septembre 1903. Il revient alors au bourg de La Chevrolière pour travailler la terre aux côtés de son père et remplacer, à partir de l'année suivante, son frère Adolphe qui part à son tour « au régiment », tandis qu'Ernest est placé comme garçon de ferme chez Constant Anizon, à Beau Soleil.
Plus tard, Henri, toujours célibataire, quitte définitivement la maison paternelle pour La Grande Noé quand Jean-Baptiste Chagneau l'embauche comme domestique agricole. En dehors des deux périodes d'exercices effectuées à Nantes à l'été 1908 et au printemps 1911, Henri travaille sur cette ferme jusqu'à la guerre. Quand elle éclate, il a déjà 32 ans et fait partie de l'armée de réserve. Il rejoint donc le dépôt du 265ème Régiment d'Infanterie, à Nantes, le 20 août 1914, puis, au cours des jours suivants, le gros du régiment qui, affecté à la défense du camp retranché de Paris depuis le début du mois, stationne à Aulnay-sous-Bois.
Toutefois, Henri est à peine arrivé que son régiment reçoit l'ordre de monter vers le nord. Le 25, des trains l'amènent à Arras. Il connaît son baptême du feu trois jours plus tard au cours de la triste « affaire de Ginchy », dans la Somme, où tombera Paul Guillet (1/75) qu'il devait sûrement connaître... Ensuite, à un moment où le front n'est pas encore fixé, le 265ème redescend progressivement vers le sud-est ; il est à Pontoise, le 1er septembre, puis sur le secteur de Moulin-sous-Touvent à partir du 15. Il subit une violente attaque le 20 et se replie alors sur Saint Pierre-lès-Bitry et Attichy, toujours dans l'Oise.
Commence alors pour le régiment d'Henri une longue période de 8 mois, pendant laquelle, alors qu'il s'est « enterré » sur place, l'expression « guerre de position » va prendre pour lui tout son sens : « Là, c'est toujours le même cycle : de première ligne en réserve, de réserve en deuxième ligne, de deuxième ligne en première, pénible va-et-vient par les chemins boueux et les nuits ténébreuses et pénible séjour aux tranchées » écrira, après guerre, le commandant du Plessis de Grenédan.
En dehors d'un détachement de cinquante hommes envoyé garder le pont de bateaux de Jaulzy, sur l'Aisne, tous les soldats du 265ème vont subir tant bien que mal la monotonie et la promiscuité de la vie de tranchée, menacés non seulement par l'ennemi d'en face en cette fin d'année 1914, mais aussi par la fièvre typhoïde qui fait alors des ravages ! C'est ainsi qu'en novembre Henri apprend que Jean Baptiste Lhomelet (10/75), en compagnie de qui il avait quitté La Chevrolière le 20 août précédent, vient d'être évacué vers l'Arrière...
En janvier 1915, Henri et son régiment sont mis au repos. Entre le 6 et le 8, tous les soldats reçoivent une première injection du vaccin antityphique. Mieux vaut tard que jamais. Dans les jours suivants, les bataillons doivent faire, alternativement, « des marches d'entrainement de 18 kilomètres » ainsi que « des travaux d'amélioration ». Henri et ses camarades profitent même d'une nouveauté, à la fin du mois : « des bains douches ayant été organisés, deux compagnies profitent [à tour de rôle, entre le 28 et le 31 janvier], de cette nouvelle mesure d'hygiène »...
Le 1er février, le 265ème remonte en ligne et relève les Vannetais du 316ème R.I., toujours dans le même secteur de Saint Pierre-lès-Bitry. Rien de notable ne se passe avant le 6 juin, date à laquelle le 265ème participe comme « second élément d'assaut » à la bataille de Quennevières. Sous une chaleur écrasante, Henri et ses camarades remportent là un brillant succès qu'il leur faudra ensuite défendre pied à pied au prix de nombreuses pertes. Au moment de la relève, le 16 juin, le tiers des effectifs du régiment a été mis hors de combat...
Pendant les dix mois qui suivent, le régiment d'Henri reste autour de la forêt de Laigue, alternant les périodes en ligne dans les secteurs de Tracy-le-Mont, du Bois Saint Mard, de Bailly ou encore de Moulin-sous-Touvent, et les périodes de repos, d'instruction ou de manœuvre, vers Pierrefonds ou Estrée-Saint Denis.
A partir de la mi-avril 1916, le 265ème quitte le département de l'Oise, où il a combattu depuis septembre 1914, pour faire lentement mouvement vers la Somme où il prend position le 1er juin. Une grande offensive franco-britannique s'y prépare. Cette bataille de la Somme, qui sera l'une des plus meurtrières de la Grande Guerre, est déclenchée le 1er juillet 1916. Le 265ème a pour mission, ce jour-là, de reprendre à l'ennemi le village de Fay.
Après une attaque au gaz déclenchée par les Allemands à 4 heures du matin et contre laquelle il faudra se protéger jusqu'à 8 heures, le 265ème, dans « un magnifique élan », sort de ses tranchées et se rue à l'attaque. Il est 9h30. Après une longue journée de combat, la mission est accomplie : le village de Fay est repris ! Henri Barillère, lui, ne l'atteindra jamais : il a été « tué à l'ennemi » aux premières heures de la bataille...
A la fin août, le maire de La Chevrolière reçoit un courrier du bureau spécial de comptabilité du 265ème R.I. l'informant qu'Henri a été inhumé, provisoirement, sur le champ de bataille : « 500 mètres à l'ouest de Fay et 60 mètres au sud de la route de Fontaine-lès-Cappy à Fay »...
Après guerre, les parents d'Henri resteront au bourg de La Chevrolière jusqu'à leur mort, en 1923 pour Angèle et en 1930 pour Pierre. Deux de leurs fils s'installeront dans la commune : Ernest, qui épousera Marie Guilbaud en 1919, à Tréjet, et Eloi, qui épousera Marie Padiou en 1922, à La Métairie de Tréjet ; les deux autres quitteront La Chevrolière : Adolphe partira à Sainte Luce pendant qu'Edmond deviendra menuisier aux Trois Moulins.
Mis en ligne le 22 octobre 2015
47 / 75 Raphaël BACHELIER, le marchand de sel
Né à La Chaussée le 4 juin 1880, Stanislas Raphaël Bachelier est le deuxième enfant de Léon Bachelier, maçon de son état, et de Mélanie Janeau, « cultivatrice » originaire du Bignon. Précédé par Anna, née en 1878, Raphaël sera suivi, en 1882, par un frère prénommé Théodore. La famille accueille, quelques années plus tard, la vieille tante de Léon, Marie, qui ne s'est jamais mariée et qui approche alors les 80 ans. Les enfants profiteront de sa présence jusqu'à sa mort, en 1896.
Entre temps, le chef de famille a rangé le fer à joint et le fil à plomb. En 1891, en effet, Léon se déclare « marchand de sel ». Dès qu'il en a fini avec l'obligation scolaire, Raphaël le rejoint dans cette nouvelle activité. N'oublions pas que le sel, dont le commerce sera taxé jusqu'en 1945, est alors indispensable dans nos campagnes, pour conserver le lard et le cochon, bien sûr, mais aussi pour complémenter l'alimentation du bétail, ou même assècher le fourrage.
A 18 ans, Raphaël voit sa soeur aînée quitter le giron familial pour épouser un maçon du bourg, Armand Amiand, dont elle aura bientôt un fils, prénommé comme son père, en 1900. L'année suivante, Raphaël quitte La Chaussée pour aller faire son service militaire à la Roche-sur-Yon ; il est incorporé au 93ème Régiment d'Infanterie le 15 novembre 1901. Cependant, cinq mois avant la « quille », le 15 juin 1904, il est « réformé temporairement pour imminence tuberculeuse » et renvoyé dans ses foyers...
Raphaël rentre à La Chevrolière où il retrouve son frère, Théodore, réformé lui aussi, pour le même motif, trois mois plus tôt. Si Raphaël échappe finalement à la tuberculose et se voit à nouveau déclaré « apte au service » par la commission spéciale de Nantes, le 2 mai 1905, son frère, quant à lui, « maintenu réformé n°2 », finira par en mourir en avril 1917...
Rétabli, Raphaël accomplit ses deux périodes d'exercices réglementaires à Nantes, à l'été 1907 et au printemps 1911. Quand la guerre éclate, il a 34 ans. Toujours célibataire, il a cependant cinq neveux et nièces : les enfants de sa sœur, Armand, Anna et Robert, et ceux que son frère a eus avec Angèle Guillon, Jeanne et Etienne. En tant que réserviste, il est rappelé le 21 août 1914 et incorporé au 265ème Régiment d'Infanterie, à Nantes.
A partir de cette date, le parcours de Raphaël se confond en tous points avec celui d'Henri Barillère que nous venons de retracer (46/75) : Aulnay-sous-Bois, Ginchy, le front de l'Oise, la bataille de Quennevières, en juin 1915, au cours de laquelle le général Nivelle, qui commande la division dont fait partie le 265ème, limoge le lieutenant-colonel Jouinot qui le commande pour le remplacer par un homme à poigne de l'Armée d'Afrique, le commandant Rose, qui restera à la tête du régiment jusqu'à l'Armistice : c'est à lui que le 265ème devra, par la suite, son curieux surnom de « régiment Rose »...
Ensuite, ce sera la bataille de la Somme. Le 1er juillet 1916, Raphaël survit aux combats de Fay, fatals, comme on l'a vu, à Henri Barillère. Les deux jours suivants, après avoir réduit les barrages qui devaient protéger le repli des Allemands, le 265ème poursuit sa progression et fait sa jonction avec le 264ème. En trois jours, les troupes françaises ont avancé de 6 kilomètres et se trouvent maintenant aux abords de Belloy-en-Santerre. Raphaël et son régiment sont alors relevés et envoyés au repos à Vauvillers où ils vont rester du 4 au 13 juillet.
Le 14, ils remontent « en secteur » et prennent position, le 19, dans le village d'Estrées, que l'ennemi n'a « cédé [les jours précédents] qu'après une opiniâtre défense ». Du 20 au 26 juillet, le régiment Rose doit résister à une « contre-offensive violente » et à un « lourd bombardement » des Allemands qui « s'accrochent avec une persistance farouche à la lisière sud du village ». Quand le 265ème est relevé, au soir du 26, 21 officiers et 786 hommes de troupe ont été mis hors de combat. Quant au village, il est « entièrement incendié et détruit »...
Raphaël et ses camarades vont alors en cantonnement de repos à Chuignes où des renforts disparates, composés de vieux territoriaux, de réservistes et de « bleus » de la classe 1916, les rejoignent. Le 4 août, à 22 heures, le régiment Rose remonte au front pour relever les Normands du 224ème, dans la partie ouest d'Estrées où l'intensité des combats a maintenant faibli. Le bataillon Bellamy, le 5ème, auquel appartient notre Chevrolin, est envoyé en première ligne. C'est là, qu'au matin du 8 août 1916, comme deux de ses camarades, Raphaël Bachelier est « tué à l'ennemi » par un éclat d'obus...
Après la guerre, les parents de Raphaël habitent toujours à La Chaussée. Dans une maison voisine vivent sa sœur et son beau-frère, qui a fait toute la guerre dans l'armée territoriale, avec leurs deux plus jeunes enfants. L'aîné, quant à lui, vient de quitter La Chevrolière pour « embarquer au commerce » comme « chauffeur de navires ». Angèle Guillon, la veuve de Théodore, est désormais épicière au bourg où elle élève, seule, Jeanne et Etienne. En 1921, Mélanie, la mère de Raphaël, puis Anna, sa sœur, meurent à quatre mois d'intervalle. Léon Bachelier, qui a maintenant perdu sa femme et ses trois enfants, s'éteint en février 1925, à l'âge de 78 ans.
Mis en ligne le 11 novembre 2015
48 / 75 Charles THIBAUD, le tailleur d'habits
Laboureurs aux Aubrais à la fin de l'Ancien Régime, puis charpentiers à Passay, sabotiers ou tonneliers au bourg, au XIXéme siècle, les Thibaud constituent l'une des plus anciennes familles de La Chevrolière. En est issu Armand Charles Marie Régis qui naît au bourg le 20 mars 1882, troisième enfant d'Henri, tonnelier, et de Jeanne Roberteau, « marchande de tissus ». Ses aînés sont Henri, né en 1878, et Marie, née en 1880.
Au tournant des années 1890, Henri Thibaud abandonne la doloire et l'herminette pour se lancer dans le commerce des fourrages. Il s'adjoint alors les services d'un roulier, Charles Planchot, qu'il loge sur place. Jeanne, quant à elle, continue à vendre ses tissus ; comment penser que la vocation du jeune Charles, qui a maintenant une dizaine d'années, ne s'est pas formée au contact du velours et de la flanelle, du calicot et de la serge, que sa mère déroule, mesure et coupe devant lui ?
Quoi qu'il en soit, Charles part en apprentissage à 14 ans et à 18, le métier en mains, « devance l'appel » en s'engageant pour trois ans « au titre du 64ème Régiment d'Infanterie ». Il arrive à la caserne d'Ancenis le 24 avril 1900 et en sort le 26 mars 1903. A partir de cette date, débarrassé des obligations militaires à l'âge où ses congénéres partent « au régiment », Charles peut envisager sereinement de s'établir comme tailleur. Peu de temps après, le voici installé à La Chevrolière, à l'adresse de ses parents qui ont entre temps ajouté l'épicerie à leurs activités.
D'un tempérament enjoué, Charles chante du matin au soir. Il faut dire que, sans concurrence locale, il ne manque pas de travail, confectionnant « habits du dimanche » et costumes de mariés pour toute la commune... D'ailleurs, le mariage, il commence à y songer aussi pour lui-même. Son frère Henri, qui fait le commerce des fourrages avec leur père, a épousé Marie Lemerle en 1903 et en 1905 est né un petit Henri. La sœur de Charles quitte aussi la maison familiale, en 1906, pour se marier avec Armand Boutin, ferblantier puis « loueur de voitures » à Saint Philbert... En 1908, c'est au tour de notre tailleur d'épouser Augustine Braud, issue d'une famille de sabotiers de Saint Julien de Concelles. Bientôt le jeune couple a une première fille, Jeanne, en 1909. Les affaires de Charles marchent si bien qu'il embauche plusieurs employés dont un jeune « ouvrier tailleur » de Nantes, Léonard Galliot.
Le tableau s'assombrit toutefois en 1910 avec le décès du père de Charles, en janvier, puis de son frère, seulement âgé de 32 ans, qui se noie accidentellement, près de La Chaussée, le jour de Noël. Les activités familiales se resserrent alors autour de l'épicerie, que tient désormais Augustine, et de l'atelier de Charles. Une deuxième fille, Marie Madeleine, puis une troisième, Marie Louise, viennent agrandir le cercle familial en 1911 et 1914.
Rappelé vers la mi-août, Charles n'aura pas la chance de voir grandir la petite dernière qui n'a même pas quatre semaines quand la guerre éclate... Il rejoint Nantes et le 65ème Régiment d'Infanterie. Il appartient à la « classe de recrutement » de 1902 mais son engagement précoce, dès 1900, lui vaut d'être rattaché à la « classe de mobilisation » de 1899 et, par conséquent, à l'armée territoriale. Les indications, mais aussi les lacunes, de sa fiche matriculaire nous font penser, que Charles est sans doute resté à Nantes, au « dépôt du 6-5 », jusqu'en décembre 1914. On peut même se hasarder à imaginer que ses talents de tailleur n'ont peut-être pas été inutiles, au magasin d'habillement de la caserne Cambronne, quand il a fallu vêtir les milliers d'hommes des trois régiments nantais...
Toutefois « la guerre est mangeuse d'hommes » et peu à peu, à mesure que l'hécatombe s'amplifie, les réservistes et autres territoriaux qui peuplent les dépôts régimentaires sont appelés à remplacer ceux qui sont tombés au Champ d'Honneur... C'est ainsi que le 4 décembre 1914, Charles Thibaud et 193 de ses camarades reçoivent une « feuille de route » pour le 48ème Bataillon de Chasseurs à Pied qui a perdu, le mois précédent, la moitié de ses effectifs lors de la sanglante bataille de Soupir... Le dimanche 6, Charles est déjà à Braine, à 18 kilomètres à l'est de Soissons : « Arrivée de 194 hommes de renfort, venus du 65ème R.I. et pris parmi les plus anciennes classes du dépôt de ce corps »...
Jusqu'au 10 juin 1915, Charles vivra et combattra dans les tranchées situées au nord de Pont-Arcy, entre Soupir et le canal de l'Oise à l'Aisne. Chasseur de deuxième classe à la 9ème compagnie, il combattra, mais il travaillera surtout. Pendant ces six mois le 48ème B.C.P. passera le plus clair de son temps, à raison de douze heures par jour, à creuser, aménager, fortifier, un impressionnant réseau défensif : « Chaque jour de nouveaux boyaux sont percés, reliés entre eux. Chaque nuit les réseaux de fil de fer sont élargis. Sous terre l'activité n'est pas moindre. On multiplie les galeries de mines, on attaque, par en dessous, les terriers boches, on les fait sauter », lit-on dans l'historique du bataillon...
Le 10 juin 1915, le 48ème B.C.P. est relevé et fait mouvement, en deux nuits de marche, vers Saint Pierre Aigle, au sud-ouest de Soissons. Cette « échappée » au grand air, après une demi-année de confinement dans les tranchées, ou à proximité immédiate, amène, parmi les chasseurs, certain défoulement auquel le commandant Maurel met bon ordre : « 12 juin : en raison de nombreux cas d'ivresse qui se sont produits dans le bataillon hier soir, le commandant supprime pendant quatre jours toute ration de vin supplémentaire »...
De juin 1915 à avril 1916, Charles et ses camarades vont rester aux alentours de Soissons. On les retrouve successivement dans les tranchées de Moulin-sous-Toutvent, puis dans celles de Vingré, sur le plateau de Nouvron. Progressivement le combat change de nature : « à cause de l'état du terrain bouleversé par les mines, les fusils ne jouent qu'un rôle secondaire dans le combat. On se bat surtout avec des grenades, des torpilles aériennes, des bombes de tout genre. Il y a de nombreux combats de patrouilles »...
Le 24 avril 1916, le bataillon de Charles quitte l'Aisne pour un repos d'une quinzaine de jours autour de Duvy, dans l'Oise. Il est ensuite transporté par chemin de fer à Ailly-sur-Noye d'où il va se diriger, par étapes, vers la vallée de la Somme où se prépare déjà la grande offensive de l'été. En juin, on le retrouve dans le secteur de Rosières-en-Santerre où il effectue des travaux préparatoires.
Quand la bataille de la Somme est déclenchée, le 1er juillet, nos chasseurs sont en réserve d'armée. Leur mission va consister à suivre les troupes d'assaut pour s'installer dans les tranchées qu'elles auront conquises et les « retourner » afin qu'elles puissent résister à d'éventuelles contre-attaques allemandes. C'est un travail pénible et fastidieux mais qui n'expose pas les chasseurs aux plus grands dangers. Toutefois la situation de Charles et de ses camarades va progressivement changer à partir du mois d'août...
En effet, les 7ème et 8ème compagnies du 48ème B.C.P. prennent une part active à la prise de la tranchée allemande dite du Chancelier, le 1er août. A la mi-août, c'est au tour de la compagnie de Charles, la 9ème, de prendre position en première ligne dans le secteur Estrée-Belloy-Assevillers. Le 9 septembre 1916 à 23h30, pour la deuxième fois, Charles et ses camarades quittent leur cantonnement pour « monter à la relève » du 2ème bataillon du 120ème Régiment d'Infanterie. La progression est lente et malcommode dans l'entrelacs des tranchées et des boyaux interminables. « Les artilleries se sont presque tues dès minuit, cependant quelques coups tombent par intermittence »...
A 1 heure, la longue colonne passe au ravin de Glatz et poursuit son chemin dans la nuit. A 2h30, elle se trouve enfin dans le boyau Hédevaux et approche de la première ligne qu'elle doit atteindre dans un petit quart d'heure... C'est à ce moment précis qu' « un obus tombe sur la tête de colonne de la 9ème compagnie, tue [trois] hommes et en blesse trois [autres] » : Charles Thibaud de La Chevrolière, Julien Busson d'Avessac et Louis Baranger de Chinon sont tués sur le coup...
A La Chevrolière, où l'on apprend la triste nouvelle le mois suivant, Augustine se retrouve seule pour élever ses trois filles, désormais « pupilles de la Nation », et pour continuer à tenir l'épicerie du bourg. En janvier 1922, on l'informe que la dépouille de son mari, d'abord inhumée au ravin de Glatz, vient d'être transférée à la Nécropole Nationale de Lihons.
Quelques années plus tard, elle se remariera avec Stanislas Couillaud, « commerçant viticulteur », originaire du Bignon. Dans les années 1930, Jeanne, l'aînée de ses filles, prendra le voile dans la congrégation des sœurs de Saint François d'Assise avant d'y devenir infirmière. Marie Madeleine, quant à elle, épousera Louis Gautier, le fondateur de la laiterie de La Chevrolière, tandis que Marie Louise épousera Bernard Brisson et reprendra avec lui l'épicerie familiale.
Photo des filles de Charles et Augustine (Collection R. Corbineau).
Mis en ligne le 26 novembre 2015
49 / 75 René LEFORT, jeune marsouin de 19 ans
Henri René Séraphin Lefort, né à Passay le 12 octobre 1896, est le cinquième enfant d'Henri Lefort, « marchand de poisson » et de Marie Célestine Richard, « cabaretière ». Ses frères et sœurs sont Henri, né en 1884, Aristide, né en 1885, Marie Augustine, née en 1886 et Elisabeth, née en 1894. Après René, deux autres enfants viendront agrandir la famille : Marcel, qui mourra à l'âge de 6 mois en 1898, et Armandine, qui naîtra en 1902.
Mais la petite-dernière n'est pas encore née que les deux fils aïnés sont déjà en apprentissage : Henri apprend le métier de charron, chez Léon Douaud, à La Chaussée, tandis qu'Aristide s'apprête à devenir forgeron. C'est l'époque où le petit René, quant à lui, entre à l'école. Au cours des années suivantes, il va voir ses aînés quitter un à un la maison familiale.
C'est d'abord Marie Augustine qui épouse Hippolyte Mouchet, le boulanger de Saint Lumine de Coutais, en 1908, puis Aristide qui part au régiment à la fin de la même année et qui, au retour, en 1910, trouve du travail chez Bichon, à Bouguenais, puis à La Montagne en 1912. Ensuite, ce sera le tour de l'aîné, Henri, qui épouse Marie Ernestine Fèvre, de Pont Rousseau, en 1911 et qui s'installe « à son compte » à Passay. René a maintenant 15 ans et prête déjà main forte à son père pour vendre et livrer le poisson du lac. Enfin, en septembre 1913, il voit s'éloigner la plus proche de ses sœurs, Elisabeth, qui, épousant un cultivateur de Saint Cyr-en-Bourg, François Léon Richard, part s'installer dans le Saumurois...
Moins d'un an plus tard la guerre éclate. Tandis qu'Henri, exempté en 1905 pour « faiblesse générale » reste dans ses foyers, Aristide rejoint Nantes et le 65ème Régiment d'Infanterie dès le 3 août. Suivant ainsi l'opinion commune, René pense sans doute que cette guerre n'est pas pour lui et qu'elle finira bien avant l'année... Mais la guerre s'enlise et notre jeune Passis a la désagréable surprise de se voir « appelé par anticipation » dès le printemps 1915. En effet « l'hécatombe » du début de la guerre et la pénurie d'hommes qui en résulte conduisent l'autorité militaire à accélérer l'appel des classes. Les jeunes gens de la classe 1915 sont ainsi appelés avec 11 mois d'avance sur la date normale d'incorporation et ceux des classes 1916 à 1919 avec un an et demi d'avance !
René Lefort se retrouve donc incorporé au 1er Régiment d'Infanterie Coloniale, à Cherbourg, dès le 9 avril 1915 : il n'a que 18 ans et demi... Son instruction terminée, il est versé au 6ème Régiment d'Infanterie Coloniale qu'il rejoint, le 5 décembre, à quelques kilomètres de Compiègne, au moment même où son frère Aristide est, lui, rappelé du front et détaché à l'arsenal d'Indret.
Le nouveau régiment de René est alors en réserve d'armée. Il quitte l'Oise pour la Somme et arrive au camp de Saint Riquier, près d'Abbeville, le 1er janvier 1916. Le 16, il revient vers Compiègne et stationne autour de Canly, Jonquières et Le Meux jusqu'au 12 février. Ensuite, après cette longue période de repos relatif, le 6ème R.I.C. prend la direction des tranchées du Bois des Loges, sur la commune de Beuvraignes, où il est en place le 19 février. Le baptème du feu ne sera pas trop violent pour René. En effet, le calme règne alors sur ce secteur du front, à peine troublé par quelques fusillades sporadiques et de rares tirs d'artillerie.
C'est sans doute l'une des raisons qui amènent le commandement à transférer, le 18 avril 1916, 150 hommes du 6ème R.I.C. au 38ème R.I.C. qui combat, à une vingtaine de kilomètres plus au nord, dans le secteur de Lihons. René Lefort fait partie de ce « détachement de renfort » dans lequel figure aussi un Rezéen de son âge, Marcel Le Douarin, dont la mère, Marie Augustine Corbineau, est originaire du bourg de La Chevrolière ; la proximité entre ces deux compagnons d'armes est d'autant plus forte qu'ils ont suivi exactement le même parcours depuis leur mobilisation !
Le 31 mai, le 38ème R.I.C. est relevé par le 404ème R.I. et quitte le Santerre pour une période d'instruction à Oresmaux, au sud d'Amiens, jusqu'au 20 juin. Ensuite, le régiment de René remonte vers le front où la « grande offensive » de l'été se prépare. Il fait mouvement par Villers-Bretonneux, Chuignolles, Cappy, et prend position dans le secteur de Flaucourt, le 5 juillet, alors que la bataille de la Somme fait déjà rage depuis quatre jours. Le 8, il participe à une attaque d'envergure sur Barleux avec le soutien d'un bataillon de tirailleurs sénégalais et d'une division marocaine. Après d'âpres combats et de nombreuses pertes, c'est l'échec. Le 10, le 6ème bataillon auquel appartient René, durement éprouvé, se retire dans la « tranchée Hélène »...
Entre le 18 juillet et le 21 août, le 38ème R.I.C. alternera les périodes en première ou deuxième ligne à Herbécourt, à la « tranchée des Bigorres » ou à la « tranchée des Canards », et les périodes de repos à Morcourt, Froissy ou au Bois sans Nom. Le 21, le régiment de René est relevé et part au « grand repos » aux environs de Compiègne, au Fayel pour le 6ème bataillon. De là, à partir de début septembre, « tout l'effectif va en permission par fournées ». Mais notre Passis a-t-il profité de cette permission bien méritée ? Rien n'est moins sûr...
En effet, René tombe brutalement malade à la fin du mois. Comme d'autres Poilus sans doute, il avait cherché à améliorer l'ordinaire avec quelques champignons. Mal lui en prit. C'est pour " empoisonnement " qu'il est transféré à « l'hôpital temporaire n°15 » installé au château de Compiègne. René Lefort y meurt, dix jours avant son vingtième anniversaire, des « suites de maladie contractée au service », le 2 octobre 1916, " à 11 heures du matin "...
Après guerre, les Lefort n'ont pas quitté Passay. Les parents de René, connu désormais comme le plus jeune Chevrolin Mort pour la France, vivent toujours du commerce du poisson avec Armandine, leur dernière fille. Henri fils, quant à lui, a abandonné la charronnerie. Il se déclare « coquetier » et se consacre avec sa femme au commerce des œufs et des volailles ; ils ont maintenant deux filles : Madeleine, née en 1914, et Marie Josèphe, en 1918.
Plus tard encore, vers 1927, Armandine épousera Jean Lemoine, « employé de commerce », et aura bientôt une fille, Marie Thérèse. Après la mort de la mère de René, en mai 1928, Henri père, désormais veuf, vivra sous leur toit.
Mis en ligne le 10 décembre 2015
50 / 75 Georges CORBINEAU, au lendemain de Verdun
Nous avions laissé Georges Corbineau au moment où François, son frère aîné, venait d'être « tué à l'ennemi » lors des combats de Toutvent, en juin 1915 (notice n° 21/75). Les deux frères étaient alors soldats au 2ème bataillon du 93ème Régiment d'Infanterie mais dans des compagnies différentes, Georges à la 5ème, François à la 6ème. Jusqu'à cette séparation tragique leurs parcours avaient été identiques...
Emilien Etienne Georges Corbineau est né le jour de Noël 1891 à la ferme de La Guillauderie tenue alors par son grand-père maternel. Un fils l'avait précédé en 1888 au foyer de François Corbineau et de Marie Guilet ; on lui avait donné le prénom de son père. Après Georges, un troisième et dernier fils, Pierre Fernand Joseph, viendra compléter la famille en 1895.
Comme ses frères, Georges ne passera pas beaucoup de temps sur les bancs de l'école et travaillera tôt sur la ferme familiale. Quelques années plus tard arrive déjà le temps du service militaire. Le 10 octobre 1912, Georges prend le chemin de La Roche-sur-Yon et du 93ème Régiment d'Infanterie d'où François vient de rentrer quinze jours plus tôt ! Mais à la différence de son frère, Georges ne connaîtra pas la joie de la "libération". Il lui reste en effet deux mois de service à accomplir quand la guerre éclate...
C'est François qui rejoint Georges à la caserne Travot dès le 3 août 1914. Rappelons brièvement le parcours du 93ème R.I., déjà largement évoqué dans diverses notices. Georges Corbineau et son régiment participent successivement à la bataille des Frontières, en Belgique, en août 1914, à la bataille de la Marne au début septembre puis à la Course à la Mer qui les amènent dans le secteur d'Albert, dans la Somme. De mars à juillet 1915, Georges combat en Artois, devant Hébuterne, où tombe son frère, François, le 8 juin. Après une période de repos dans l'Oise, on retrouve le 93ème dans la Marne, dans les tranchées du Mesnil-lès-Hurlus et de la ferme de Beauséjour à la fin août. Ensuite, à partir du 25 septembre 1915, ce sera pour Georges et ses camarades la seconde bataille de Champagne. Début novembre, le 93ème, décimé, est relevé et envoyé au « grand repos » près de Vitry-le-François pour être réorganisé. De décembre 1915 à avril 1916, il remonte en ligne dans le même secteur de Somme-Suippes.
Peu avant de quitter définitivement le front de Champagne, Georges Corbineau est promu caporal, le 11 avril. Après une période de repos aux alentours de Châlons, le 93ème prend, le 26 mai, la direction de Verdun où il arrive le 9 juin 1916. Commence alors une longue période de six mois pendant laquelle le régiment va alterner les périodes de combat et les périodes de repos sur le théâtre d'opérations le plus tristement célèbre de la Grande Guerre. Dès son arrivée, il participe à l'attaque de l'ouvrage Thiaumont qui entraîne des pertes si considérables dans ses rangs qu'il est relevé dès le 15 juin, envoyé au repos et « reconstitué » autour de Bar-le-Duc. Georges et son bataillon cantonnent alors, pendant un mois, à Saudrupt, Behonne et Rignaucourt.
Le 19 juillet, le 93ème remonte à Verdun et se voit affecté un des secteurs des Côtes de Meuse. Georges combattra dans les tranchées de Watronville jusqu'à la fin du mois de septembre. Le 2 octobre, le 93ème se porte sur le secteur de La Laufée et de Tavannes situé plus au nord. L'heure est alors au desserrement de l'étau allemand et à la reconquête des Hauts de Meuse. Après l'attaque du Fort de Vaux menée par le 30ème R.I., le 93ème doit occuper le terrain conquis en avant du village de Damloup qu'il prendra d'ailleurs à l'ennemi dans la nuit du 4 au 5 novembre, progressant ainsi de 400 mètres sur un front d'un kilomètre...
Le 7 novembre, le 93ème est relevé et envoyé au repos autour de Bar-le-Duc. Georges et son bataillon cantonnent à Salmagne qu'ils quittent dès le 21 pour remonter en ligne, le 30 novembre, aux carrières nord de Douaumont. Hormis une petite semaine de repos à Chaumont-sur-Aire, ils vont tenir ces positions jusqu'au 17 décembre. Dans la nuit du 17 au 18 décembre, le 93ème part relever le 2ème Zouaves et le 2ème Tirailleurs Algériens qui sont parvenus, les jours précédents, à reprendre le contrôle du Bois des Caurrières, situé à 3 kilomètres plus au nord : « le mauvais temps continuant et l'artillerie ennemie ayant violemment réagi, le terrain était devenu un véritable chaos de boue. La relève fut des plus pénibles »...
Bien que la plupart des historiens s'accordent à fixer la fin de la bataille de Verdun au 19 décembre 1916, il ne faudrait pas imaginer que les armes s'y sont tues pour autant... C'est en effet le lendemain, 20 décembre, que le caporal Georges Corbineau est « tué à l'ennemi » dans des circonstances qui n'ont pas été rapportées. Il est tombé sur le territoire de la commune de Bezonvaux, l'une des neuf communes de la Meuse qui seront déclarées, après guerre, Mortes pour la France, et dont les villages ne seront jamais reconstruits ni réhabités... La nouvelle de sa mort n'arrive à La Chevrolière que le 30 janvier suivant, avec cette précision : « inhumé à la lisière nord du Bois des Caurrières ». Pour la deuxième fois en 18 mois, François et Marie Corbineau viennent de perdre un fils...
Après guerre, seul Fernand, le benjamin, zouave à l'Armée d'Orient, rentre sain et sauf à La Guillauderie. Puis, en 1921, la famille Corbineau quitte La Chevrolière pour Saint Colomban où on la retrouve dans l'une des fermes de La Sorinière. En 1922, Fernand épouse une Philibertine, Maria Praud, et prend une nouvelle exploitation, en 1924, dans le hameau de La Rabatelière où son père mourra en 1926. Le jeune couple aura trois enfants ; deux filles, Marie Georgette, décédée à l'âge de 4 ans, et Gisèle, née en 1925, puis un garçon, en 1929, que l'on prénommera Georges, évidemment... En 1931, Fernand s'installera à L'Aujardière, village natal de son épouse, avec ses enfants et sa vieille mère.
Mis en ligne le 31 décembre 2015
( © P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur )
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