La dernière carte
(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)
Le courrier a été pendant la Grande Guerre un lien vital entre les Poilus et leurs proches, souvent aussi le seul lien avec une « vraie vie » que la misère des tranchées avait rendu presque illusoire. Certaines, parmi les milliards1 de lettres et de cartes postales échangées, ont revêtu, après coup, une importance particulière. C'est le cas de cette carte écrite à La Thuilière, le 18 février 1916, par Augustine Visonneau à l'intention de son frère, Georges Perraud (39/75), qui combat alors sur la côte belge.
La teneur en est pourtant très banale. Augustine fait d'abord allusion à la lettre de Georges reçue la veille. Il a pu rendre visite à une connaissance de La Guinèvre, en Saint Philbert, qui combat dans la même batterie d'artillerie que lui, mais qui est affecté à une autre pièce. Avoir pu parlé du pays avec Auguste Coëlier sortait en effet suffisamment de l'ordinaire pour qu'il le raconte aux siens. Mais Augustine s'inquiète plutôt de leur position par rapport aux premières lignes...
A son tour, elle lui donne des nouvelles, sur le temps très pluvieux qui sévit alors à La Chevrolière, sur la bonne santé de ses proches, et sur deux autres Poilus qu'elle a rencontrés récemment : un pêcheur de Passay qui sert dans le Génie, Fernand Padiou, dit « Péquo », alors en convalescence, avec qui elle a parlé le dimanche précédent, et Lucien Perraud, un cousin d'Auguste Coëlier justement, qui est en permission à La Thuilière...
L'inquiétude, que les familles cherchent évidemment à masquer, transparaît toutefois à nouveau dans les vœux d'Eugène, le mari d'Augustine : « Eugène te souhaite une bonne chance pour tâcher de t'en tirer au plus vite en bonne santé »... Le beau-frère de Georges sait bien que la chance est maîtresse dans le sort d'un Poilu : lui-même a combattu jusqu'en janvier 1915 avant d'être évacué puis renvoyé dans ses foyers pour bronchite chronique. A cette date, il ne sait d'ailleurs pas encore qu'il n'est pas sorti d'affaire et qu'il devra remonter au front l'année suivante...
Le message se termine par la promesse d'un colis de charcuterie maison que Georges, malheureusement, ne goûtera jamais... En effet, le 26 février, huit jours après la rédaction de cette carte, le frère d'Augustine sera grièvement blessé et mourra deux jours plus tard, à Nieuport-Bains, des suites de ses blessures (voir notice 39/75). Une question lancinante va alors longtemps tarauder Augustine. Georges a-t-il seulement reçu cette dernière carte ? Ecrite le 18, mais peut-être seulement postée le samedi 19 ou le lundi 21, est-elle parvenue à temps2 pour que le vaguemestre de la 111éme Batterie la lui distribue le 25, voire même le jour fatal ?
Mis en ligne le 4 juin 2018
1 : Dans son livre "La Poste pendant la Première Guerre mondiale", Laurent Albaret parle de plus de quatre milliards !
2 : Depuis la fin de l'année 1915, le délai moyen d'acheminement du courrier vers le front se situait entre deux et cinq jours.
Remerciements à Madame Nans Delaire-Gernigon, petite-fille d'Augustine, ainsi qu'à Madame Roseline Corbineau.
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