Le crime de la Noël 1834 (1)
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Tout au long des siècles, la vie paisible de nos campagnes a été secouée, de loin en loin, par des « émotions » qui sont venues rompre sa routine et marquer les populations. Une catastrophe naturelle, une calamité agricole, une disette, une épidémie, mais aussi un scandale ou un crime de sang, ont ainsi régulièrement troublé les communautés rurales. Ce fut justement le cas, à La Chevrolière, dans les derniers jours de l'année 1834.
Un sordide guet-apens
Deux jours après Noël, Jacques Mainguet, 32 ans, et son frère Joseph, 35 ans, sont montés à Nantes, comme presque tous les samedis, pour vendre leurs volailles au marché du Bouffay 1. Les affaires marchent plutôt bien et, en début d'après-midi, Joseph décide de laisser son frère écouler le peu de marchandise qui reste et de rentrer seul à pied. En prenant ainsi les devants, il espère arriver au Râteau 2 avant la nuit ; les jours sont si courts à la fin décembre.
Une ou deux heures plus tard, affaires faites, Jacques prend à son tour le chemin du retour. Monté sur son cheval noir bâté de deux grandes panières désormais vides, il sort de la ville, traverse le faubourg de Pont-Rousseau et atteint Les Sorinières. Il s'y arrête un moment, chez le maréchal, afin de faire rajuster le ferrage de sa monture. Puis il reprend paisiblement sa route, passe le Champ de Foire, remonte le village de Viais. La nuit est tombée tandis qu'il cheminait. Il avance maintenant au petit trot sur la grand route des Sables. Dans la longue portion rectiligne qui conduit à Tournebride se dessine bientôt, à main droite, l'entrée de la grande allée de la Freudière, raccourci bienvenu pour rentrer au plus vite après cette longue journée.
Mais au moment où il va s'y engager, trois hommes bondissent des fourrés alentours et se précipitent sur lui. Le premier lui assène un violent coup de bâton, le deuxième s'empare de la bride du cheval tandis que le troisième, en pesant de tout son poids sur l'une des panières, désarçonne et fait choir le cavalier ! Aussitôt, on se rue sur lui. Sans lui laisser la moindre chance, on lui porte sept ou huit coups de couteau, dont un à la gorge. En un instant, on s'empare des 100 francs qui se trouvent au fond de l'une des panières, puis, laissant le volailler pour mort, on s'évanouit dans l'obscurité... Il est environ sept heures du soir en ce samedi 27 décembre 1834.
Quelques minutes plus tard, Louis Guibert, marchand de vin et conseiller municipal à Saint Colomban, découvre le volailler gisant sur le bord de la grand route et baignant dans son sang. Il s'empresse de chercher du secours à la Guillauderie et à la Davière toute proches. Malgré la nuit, la nouvelle parcourt déjà les hameaux environnants, jusqu'au Râteau où la famille de Jacques est prévenue, vers huit heures, qu'il est très « malade au bout de l'allée de la Freudière ».
Pendant ce temps, au bord de la grand-route, quelques voisins et passants entourent le blessé. On fait du feu pour le réchauffer. D'autres voyageurs, encore assez nombreux à cette heure tardive, s'arrêtent. Hyacinthe de la Robrie 3, qui se rend à son château de la Mouchetière en compagnie de son frère, arrive à hauteur de l'attroupement et propose son cabriolet pour transporter la victime. Hélas, Jacques Mainguet est désormais trop faible. Il balbutie encore quelques mots, « je suis mort, je suis gelé », puis rend l'âme...
Mis en ligne le 10 décembre 2022
À SUIVRE
NOTES :
1 – Volaillers (encore appelés « poulaillers ») et « coquetiers » (marchands d’œufs) sont alors nombreux à La Chevrolière. Même s'ils sont eux-mêmes producteurs, leur activité consiste surtout à collecter dans les fermes environnantes tout ou partie de la production et à la revendre ensuite à la ville. Cette activité perdurera localement jusqu'à la première moitié du XXème siècle, se transformera (on pense, entre autres, à l'entreprise Hervouet fondée en 1900 à Passay) et procurera un revenu ou un complément de revenu à beaucoup.
Le marché du Bouffay et la rue de la Poulaillerie (aujourd'hui rue Belle-Image) qui y conduit, sont alors les hauts lieux de ce commerce sur la place de Nantes.
2 – Joseph Mainguet (1799-1879), son épouse Marie-Madeleine Prou (1799-1871), sa mère Marie Perraud (1767-1837), veuve, son frère Jacques (1802-1834) et la jeune épouse de ce dernier, Anne Racineux (1814-1869), habitent alors tous au Râteau. Seul Jean (1794-1848), le frère aîné, a quitté son village natal pour se marier et aller tenir la ferme de ses beaux-parents, à la Thibaudière, distante de 4 km.
3 – Hyacinthe Hervouet de la Robrie (1801-1871), avocat, fils du célèbre chef vendéen, prit lui-même part à l'insurrection de la duchesse de Berry deux ans plus tôt. Il partage alors son temps entre Nantes et Saint Colomban.