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Retour à La Chevrolière

 

(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)

 

 


Au terme de cette véritable "expédition", Georges ne va pas amener sa petite famille dans son Plessis natal, désormais habité par les familles Templier et Airiau, mais à l'Aubrais où des parents1 trouvent, tant bien que mal, à les loger, qui dans une pièce vacante, qui dans un vaste grenier inoccupé... A peine arrivées, il est encore temps d'inscrire Georgette et Marie Brégeon pour la rentrée des classes prévue le lundi 2 octobre. Les petites-filles de notre jardinier vont passer toute l'année scolaire 1944-1945 sur les bancs de l'école de La Chevrolière dont elles garderont d'ailleurs un excellent souvenir. Cependant, quand les prisonniers rentrent de captivité au cours du printemps et de l'été 1945, tandis qu'Yvonne et Vonette rejoignent Étienne Dauly à Orvault, sa sœur Georgette et ses deux filles retrouvent Pierre Brégeon à la ferme du Verger, voisine de Lucinière. Après cinq ans de séparation et d'angoisse, la vie reprend enfin pour elles son cours normal !

 

Quant à Georges et Constance, ils se retrouvent désormais seuls, en compagnie de leur dernière fille, Marie. Toutefois, cette dernière, qui a maintenant 21 ans, va bientôt les quitter à son tour pour épouser, l'année suivante, le fils aîné de leurs nouveaux voisins, Étienne Clouet. C'est au cours de cette même année 1946, que Georges et Constance sont engagés par M. Poidevin, propriétaire d'une conserverie à Nantes, pour garder et entretenir le manoir et le parc de l'Héronnière situés à moins d'un kilomètre de l'Aubrais.

 

A une époque où la "retraite" n'existe pas encore, cette place est une aubaine pour Georges et Constance. Ils emménagent dans la maison du gardien. Pendant que notre jardinier entretient le parc et cultive les deux potagers du domaine, Constance s'occupe de la basse-cour. Heureusement pour eux, lorsqu'en 1955, à la suite de son divorce, M. Poidevin vend l'Héronnière à Jean-Pierre Guerlain, le nouvel acquéreur2, qui ne séjournera au manoir que pendant les week-ends de la saison de chasse, décide de les garder à son service.

 

Pendant toute cette période, Georges et Constance accueillent souvent à l'Héronnière, pendant les vacances scolaires, leurs petites-filles nées après-guerre, filles d'Yvonne Dauly et de Marie Clouet. Les cousines se souviennent, aujourd'hui encore, des fabuleux moments passés là, auprès de leurs grands-parents... Georges ne quitte son éternel tablier de jardinier que pour la seule sortie hebdomadaire qu'il s'accorde. Chaque dimanche, il enfourche son vélo et parcourt les quatre kilomètres qui le séparent du bourg de La Chevrolière pour assister à la grand-messe ! Sur le trajet, il s'arrête parfois chez Etienne et Marie Clouet pour emmener ses petites-filles à l'église et les gâter ensuite de quelques bonbons que l'on achète chez Chabanon...

 

En 1959, Jean-Pierre Guerlain, qui projète de faire construire un vaste pavillon de chasse3 sur les rives du lac de Grand-Lieu dont il est déjà le principal actionnaire, revend l'Héronnière à un garagiste chevrolin, Léon Patedoye, qui s'y installe à demeure. Georges et Constance doivent alors quitter la propriété après treize années de bons et loyaux service. Cela dit, ils n'iront pas bien loin... Ils s'installent en effet de nouveau à l'Aubrais où ils vont vivre la dernière étape de leur vie commune. Située en retrait de la route qui traverse le village, leur petite maison, modestement meublée, verra souvent passer voisins, amis et parents.

 

Autour de la grande table ou au coin du feu, Georges évoque parfois ses souvenirs et, bien sûr, «sa» guerre... Ses petits-enfants l'écoutent alors religieusement, sans toujours tout comprendre, raconter des anecdotes déjà bien connues dans la famille : les cigarettes échangées avec l'ennemi lors de la fameuse trêve de Noël 1914, le combat au corps à corps qu'il a dû livrer, un jour, pour sauver sa peau, la chance miraculeuse qu'il a eu, une autre fois, en se portant volontaire : « Un jour, j'ai dû aller moi-même au ravitaillement parce que les autres avaient tous peur des bombardements. Quand je suis revenu dans la tranchée, ils étaient tous morts !» et il concluait invariablement son récit par cette phrase : « J'avais bonne mine avec ma soupe !»...

 

 

Mais Georges passe le plus clair de son temps dans le grand jardin attenant qui est l'objet de ses soins attentifs et éclairés. Un grand potager et des légumes de toutes sortes, n'est-ce pas là toute sa vie ? Il faut dire aussi qu'avec ses maigres revenus et sa petite pension d'ancien combattant, la production de son jardin n'est pas accessoire... Toutefois, sa générosité est telle qu'il trouve toujours le moyen d'en faire profiter ses visiteurs en leur offrant un panier bien garni.

 

Georges et Constance, après une longue vie de labeur et des épreuves qui n'ont pas manqué, filent des jours heureux à l'Aubrais. Cependant, en 1968, Constance tombe gravement malade et s'éteint le 17 novembre, à l'âge de 84 ans. Après 58 ans de vie commune, Georges se retrouve seul face au grand âge. Mais il n'est pas question pour ses filles de l'abandonner à l'Aubrais.

 

Georgette, Yvonne et Marie décident en effet de prendre leur vieux père chez elles, à tour de rôle. Pendant cinq ans, Georges va ainsi passer successivement trois mois à Lucinière, où son gendre Pierre Brégeon lui succédera comme jardinier en 1971, trois mois aux Trois Moulins, à Rezé, où vit désormais Yvonne et trois mois chez Marie, au bourg de La Chevrolière. Dans sa valise, notre vieux jardinier n'a pas oublié d'emporter les «trophées» de guerre dont il ne se sépare jamais : une paire de jumelles allemandes et des douilles d'obus qu'il montre encore volontiers à ses arrière-petits-enfants avec le souci, toujours et encore, de transmettre la Mémoire...

 

Est-ce un hasard ou un clin d’œil du destin ? C'est à La Chevrolière, son pays natal, chez sa fille Marie Clouet, 33 rue du Stade, que Georges Freuchet quitte cette vie, le dimanche 24 mars 1974, à l'âge, plus que vénérable pour l'époque, de 93 ans et 9 mois...

 

 

 

 

 

 

 

1 – Parmi les six fermes ou maisons habitées alors à l'Aubrais, deux le sont par des parents de Georges : sa nièce, Émilienne Freuchet, épouse d'Henri Lhomelet, et Paul Freuchet, son cousin germain.

 

2 - Jean-Pierre Guerlain appartient à la célèbre famille des parfumeurs.

 

3 - M. et Mme Guerlain font construire cette maison au lieu-dit « La Chaussée », sur la commune de Bouaye. Devenue musée et terrasse d'observation, elle fait aujourd'hui partie de la "Maison du Lac".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mis en ligne le 26 octobre 2019

             (remanié le 14 décembre 2019)

 

 

(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)

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