En arrivant de Nantes

 

(© P. AMELINE Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur)

 

Nous avons beaucoup de peine à imaginer que nos paysages les plus familiers n'aient pas toujours existé, que les repères habituels de notre cadre de vie aient pu, en d'autres temps, se présenter de façon bien différente. Et pourtant...

Ainsi, arriver au bourg de La Chevrolière, en venant de Nantes, ne s'est pas toujours fait par la belle "avenue" rectiligne, longue de 360 mètres, bordée de grands arbres, que nous montraient déjà, à l'envi, les cartes postales des années 1900. Avant 1860, en effet, l'accès au bourg était à la fois plus étroit et plus sinueux. Un enchaînement de courbes et de changements de direction reliait alors le hameau de la Chaussée à la place de l'église. Le pont, lui-même, n'existait pas encore et le franchissement du ruisseau de la Chaussée, aléatoire pendant les grandes crues hivernales, s'effectuait, un peu plus à l'ouest, par une longue passerelle charretière, en bois, large de huit pieds 1 seulement.

L'observation du plan cadastral de 1843 et une comparaison attentive avec celui de 1948 montrent bien la rectification et l'élargissement du tracé du Chemin de Grande Communication n°65 entre ces deux dates. Aujourd'hui, la petite Impasse de la Chaussée reste le seul indice et, pourrait-on dire, le seul vestige « archéologique » de l'ancien tracé. Il ne faudrait pas croire pour autant que le nouveau tracé, plus rationnel et plus court, avec son pont maçonné, plus sûr et plus large, ait été accueilli comme une évidence...

Ce projet, présenté par le Préfet, dont dépendent, depuis une loi de 1836, les "chemins de grande communication", est unanimement rejeté par le conseil municipal lors de sa séance du 2 mai 1858 :  « Il décide que l'ancien chemin soit maintenu » car « le redressement paraît trop peu avantageux pour le voyageur 2 et [...] les frais paraissent trop considérables ». Cependant, comme chacun sait, « on n'arrête pas le progrès » et les autorités préfectorales, passant outre ce vote qui n'était de toute manière que consultatif, engagent l'agent-voyer à lancer la procédure et le chantier 3.

Si les travaux sont largement subventionnés par le Conseil Général, l'achat des terrains reste à la charge de la commune. Le conseil municipal du 9 juin 1859 vote une somme de 453 Francs et 90 centimes pour acquérir des sieurs Bouchaud et Angebaud les parties nécessaires de deux parcelles distinctes  appelées « marais de la Chaussée » et « pré de la Chaussée » 4. Le chantier commence au cours de l'été ou de l'automne 1859. Le 26 février suivant, « le nouveau pont » est encore jugé « impraticable » par le conseil municipal dans son « état des chemins vicinaux ». Cet ouvrage comme la nouvelle route qui le dessert ont sans doute été terminés et ouverts à la circulation au printemps 1860.

 

Dans la période suivante, qui va s'étaler jusqu'en 1864, il va s'agir pour le conseil municipal d'améliorer, sinon d'aménager, les bas-côtés de la nouvelle route, en élargissant ou en rectifiant ses abords. Dès 1861, plusieurs propriétaires 5 de menues parcelles situées, pour l'essentiel, dans les « petits marais de la Chaussée » 4 proposent ou acceptent des échanges avec de nouvelles parcelles tracées dans le commun du « vieux chemin » devenu en grande partie inutile. Plus tard, certaines parcelles issues de ce démembrement permettront même la construction de nouvelles maisons. En 1862, le calvaire de la Chaussée, marquant l'emplacement de la croix de mission plantée en 1708 par le futur Saint Louis Marie Grignion de Montfort, aurait été légèrement déplacé avant d'être reconstruit dans l'axe de la nouvelle « avenue ».

Quant à la construction d'un pont sur le ruisseau, c'était une idée très ancienne que les moyens de la population ou les circonstances historiques n'avaient jamais permis de mener à terme. En mars 1792, par exemple, à la suite de l'émotion provoquée par la noyade accidentelle d'un habitant de la Chaussée 6, la municipalité de Jacques Le Breton présente une requête urgente au district « concernant cette chaussée qui est en si mauvais état que personne ne peut passer » : qu’on lui « accorde quelques fonds pour la faire rétablir » ou que l’on contraigne les propriétaires nobles « qui sont joignants la dite chaussée » à le faire ! Le 30 avril, elle se transporte même sur place afin d'élaborer un projet aussi précis qu'ambitieux 7. Malheureusement, la guerre civile qui éclate l'année suivante le renvoie aux calendes grecques...

 

 

 

 

 

1 – A peu près 2m40.

2 – Il est vrai qu'il ne fait gagner qu'une trentaine de mètres...

3 – L'extension et l'amélioration de la voirie vicinale, dont font partie les C.G.C., est une priorité du Second Empire. Dans un discours de 1861, Napoléon III affirmait : « Les communes rurales, si longtemps négligées, doivent avoir une large part dans les subsides de l'État ; car l'amélioration des campagnes est encore plus utile que la transformation des villes. Il faut surtout poursuivre avec vigueur l'achèvement des chemins vicinaux ; c'est le plus grand service à rendre à l'agriculture ».

4 – Source : lachevrolieregenea.free.fr , article intitulé Cadastre, 4 mars 2020.

5 – Il s'agit des sieurs Péneau, Orieux, Bouchaud et Guilet.

6 – « Le 11 mars 1792, la municipalité assemblée au lieu ordinaire de ses séances, il nous a été exposé par Thomas Surget, farinier demeurant au village de La Thuilière, qui vient de tirer de l’eau le nommé Pierre Cormerais du village de La Chaussée proche du bourg de La Chevrolière, qui nous a déclaré que du bourg se rendant chez lui, environ les onze heures du matin, passant sur une petite chaussée, nommée la chaussée du bourg, proche la dite demeure où a tombé dans l’eau le nommé Cormerais étant vu de plusieurs personnes qui n’ont pas pu le sauver, ils nous ont demandé notre avis s’il fallait une descente de justice, nous avons répondu que comme le malheur était connu de plusieurs personnes que nous croyons qu’il était suffisant que l’épouse du dit noyé se transporte sur le lieu pour le réclamer pour son mari et qu’on le [fasse] transporter dans la dite demeure, en quoi nous avons donné pouvoir à Monsieur Musset curé de la dite paroisse de l’enterrer à la manière accoutumée et avons aussi donné pouvoir au sacristain de faire ses fonctions ordinaires ». Archives Municipales de La Chevrolière, Registre des délibérations du conseil municipal, année 1792 (pages 12 verso et 13), cité dans La Chevrolière sous la Révolution, 2010.

7 – « Le trente du mois d’avril 1792, la municipalité s’est assemblée et transportée à l’endroit et lieu de la chaussée proche le bourg de La Chevrolière à celle fin de rapporter le procès-verbal sur le champ, [a] détaillé des réparations urgentes pour la dite chaussée et [a] considéré qu’il fallait deux murs d’appui pour soutenir la dite chaussée, dont les dits murs seront de quarante toises […], de deux pieds d’épaisseur en bas, réduite à un pied et demi en haut, qui peuvent contenir environ cent vingt toises de maçonne en tout, les dits murs d’appui seront [distants] de dix pieds de large en bas et de huit en haut, et que les dits murs soient remplis de pierre en le fond et de gravier par-dessus les pierres. De plus [il faut] rempierrer huit toises joignant la chaussée du côté du bourg, ensuite il sera rapporté ou bâti une arche faite en voûte cintrée de douze pieds de largeur sur douze pieds de longueur ; et que le tout soit bien bâti avec de bonnes pierres à chaux et à sable, et enduire hérissonné les murs avec de la chaux, que les dits murs soient [en]foncés de deux pieds de fondement ou plus si nécessaire. » Archives Municipales de La Chevrolière, Registre des délibérations du conseil municipal, année 1792 (page 14), cité dans La Chevrolière sous la Révolution, 2010.

 

Mis en ligne le 22 juin 2020

 

 

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