La guerre aux jachères

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La révolution agricole de la fin du XVIIIème siècle et de la première moitié du XIXème siècle est surtout caractérisée par le développement des cultures fourragères. Cette innovation permet la transformation des jachères, si longtemps « inutiles », en prairies artificielles qui augmentent considérablement l'affouragement disponible et entraînent ipso facto le développement de l'élevage. L'augmentation des fumiers qui en découle permet, à son tour, une croissance inédite des rendements agricoles.

 

Dans la France de la Monarchie de Juillet (1830-1848), cette « révolution fourragère » est encouragée et récompensée, par de tout nouveaux « comités » ou « sociétés » d'agriculture, qui seront bientôt à l'origine des « comices agricoles », et qui distribuent des primes d'encouragement aux « cultivateurs » les plus audacieux et les plus efficaces. Organisées dans le cadre cantonal et financées par le Conseil Général, ces remises de prix annuels constituent des événements attendus dans le monde rural.

 

Ainsi, un jour de novembre 1837, on se réunit dans la grande salle de la mairie de Saint Philbert de Grand-Lieu pour remettre aux lauréats de l'année les primes qu'ils ont méritées. Deux catégories sont prises en compte : l'élevage des plus « beaux bestiaux » et la « meilleure culture » des plantes fourragères. Le jury est présidé par Félix Jamont, conseiller général depuis 1833, et composé par les représentants des différentes communes du canton : Antoine d'Estrées, conseiller municipal de Saint Philbert, Pierre Pinsonneau, maire de Saint Lumine-de-Coutais, Mathurin Picard, adjoint de Saint Colomban, Julien Loirat, conseiller municipal de La Limouzinière et Jean Béranger, maire de La Chevrolière.

 

Le Chevrolin Jacques Choblet, de la Guerche, remporte le premier prix du concours des plantes fourragères : « sur une exploitation de 20 hectares ou quarante journaux en terre labourable, [il] a deux hectares vingt-cinq ares en trèfle, autant en choux, deux hectares en navets, un hectare et demi en pommes de terre, un hectare vingt-cinq ares environ en jarosse, total neuf hectares vingt-cinq ares ou dix-huit journaux et demi, mesure locale. Le sieur Jacques Choblet a incontestablement mérité le premier prix, tant par la beauté de ses produits que par l'étendue du terrain qu'il a employé à cette culture. » Le lauréat, qui n'est pas un inconnu à La Chevrolière puisqu'il y est conseiller municipal1 depuis novembre 1834, reçoit la coquette somme de 45 Francs2. Au cours de cette même remise de prix, deux autres cultivateurs chevrolins sont distingués : Jacques Josnin3, de Villegais, et Sébastien Guillet4, du Plessis, qui reçoivent 15 Francs chacun.

 

L'année suivante, le 3 novembre 1838, on se retrouve au même endroit et, « en présence d'une nombreuse assemblée », le conseiller général ouvre la réunion en exposant les objectifs et les méthodes de la « révolution fourragère » qui gagne peu à peu l'ensemble du canton : « L'agriculture a fait depuis peu de temps un remarquable progrès dans le pays. Les cultivateurs commencent à sentir que les pièces de terre laissées en friche pour terres de pacage, et qui ne produisent que quelques genêts et ajoncs, rapportent moins aux fermiers que celles ensemencées en plantes fourragères. La culture du trèfle commun et du trèfle incarnat a pris depuis deux ou trois ans un rapide accroissement, et les jachères ont diminué d'autant ; ce progrès mérite d'être signalé parce qu'il tend directement au but que s'est proposé le conseil général. Les cultivateurs ont adopté pour le trèfle commun un mode d'ensemencement avantageux et économique à la fois. Après le sarclage des grains, lorsque la terre vient d'être légèrement remuée par ce travail, on sème parmi le froment, et quand la récolte du blé est terminée, au moment où le chaume vient d'être coupé, la terre paraît couverte d'une riche verdure qui au printemps suivant aura de productifs résultats ; ainsi, point de frais, point de temps perdu et de fécondes récoltes. Tous ces avantages réunis ont fait que les novateurs ont eu beaucoup d'imitateurs et que tous s'en trouvent bien […] La bonté d'un système, repoussé d'abord par d'anciennes habitudes, est aujourd'hui confirmée par l'expérience. La culture du trèfle s'étend de proche en proche, et tout fait présager qu'avant peu les infertiles jachères auront à peu près disparu et qu'elles seront heureusement remplacées par de productives prairies artificielles […] Félix Jamont poursuit en appelant à la rescousse les grands propriétaires terriens : « Pour arriver là, le jury s'adresse non seulement aux cultivateurs proprement dits, mais encore aux propriétaires plus instruits et conséquemment moins routiniers ; ils comprennent mieux les avantages du nouveau système, c'est à eux qu'il appartient de le propager par leurs conseils et par leur exemple lorsqu'ils font valoir »...

 

Au plan cantonal, La Chevrolière semble bien être à la pointe de cette « révolution fourragère ». En effet, cette fois, c'est Jacques Josnin qui met à nouveau La Chevrolière à l'honneur en remportant le premier prix. Il a converti plus de la moitié des 17 hectares qu'il cultive en plantes fourragères. Le cultivateur de Villegais reçoit 40 Francs et, comme tous les autres lauréats, un exemplaire des Veillées Villageoises5. Le deuxième prix, de 35 Francs, est également décerné à un Chevrolin en la personne de Jean Coëslier6, de la Métairie de Tréjet, qui a converti plus du tiers des 30 hectares de son exploitation.

 

 

Nous ne savons pas si cette « modernisation » a valu à La Chevrolière de nouvelles récompenses au cours des années suivantes ; le National de l'Ouest a préféré, par la suite, mettre le projecteur sur d'autres cantons. Quoi qu'il en soit, l'augmentation des rendements agricoles restera, tout au long des XIXème et XXème siècles, la principale préoccupation des cultivateurs et des propriétaires fonciers. Après la quasi disparition des jachères, ils se tourneront résolument vers l'utilisation des différents types d'engrais7.

 

Mis en ligne le 9 avril 2022

 

 

Notes :

1 - Jacques Choblet (1782 - 1847) deviendra, par la suite, adjoint au maire, d'août 1838 jusqu'à sa mort en janvier 1847. A cette époque le conseil municipal de La Chevrolière ne compte que 15 membres dont le maire et son unique adjoint.

2 - Cette somme représente, à l'époque, le prix moyen de 7 ares (700 m²) de terre labourable ou de 3 ares de vigne.

3 - Jacques Josnin (1784-1860) est né à la Bastière où ses parents sont métayers. Son père figure vraisemblablement parmi les nombreuses victimes du massacre de l'Arsangle en juillet 1794. Jacques Josnin vit déjà à Villegais au temps de son mariage avec Anne Barillère qu'il épouse en 1813 et dont il a un enfant en 1825. Veuf en 1828, il se remarie avec Perrine Freuchet au cours de cette même année 1837.

4 - Sébastien Guillet (1790-1850), né et décédé au Plessis, a épousé en 1813 Modeste Lemerle dont il a eu un enfant en 1819.

5 - L'enseignement de la lecture commence à progresser dans nos campagnes (loi Guizot de 1833 : création des premières écoles communales) et les autorités ont déjà bien compris tout l'intérêt que représente l'écrit dans la diffusion des « idées nouvelles ». Les Veillées Villageoises, publiées en 1834, connaîtront un grand nombre de rééditions tout au long du XIXème siècle et inonderont les premières bibliothèques scolaires des communes rurales. Ce "best-seller" avant la lettre a été écrit par Eugène Neveu-Derotrie (1800-1862), professeur d'agriculture et membre de la Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure.

6 - Jean Coëslier (1814-1894), né et décédé à la Métairie de Tréjet, a épousé Jeanne Filaudeau, de Saint Aignan, en 1840. Quatre enfants sont nés de cette union.

7 - Voir, sur ce sujet, l'excellent article publié récemment sur le site lachevrolieregenea@free.fr : le fumier de la ville.

 

Source : National de l'Ouest, quotidien régional, éditions des 25 novembre 1837 (1ère page) et 14 novembre 1838 (1ère page). Ce quotidien républicain est l'un des « ancêtres » de Presse-Océan.

 

 

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